c'est pas moi je l'jure!

les gens sont fous, les temps sont flous

Quand je suis allée aider mon frère à s’occuper de ma mère, fin novembre, j’ai passé une première nuit vraiment difficile avec elle et au petit matin, j’ai décidé que je ça ne servait à rien que je reste avec elle chez elle et qu’il fallait la conduire à l’hôpital.

Il a fallu plusieurs heures à mon frère pour arriver à faire remplir les papiers nécessaires pour avoir légalement le droit de faire admettre ma mère dans un hôpital psychiatrique contre sa volonté, et donc j’ai passé la matinée et l’après-midi avec ma mère, chez elle.

A un moment, elle était assise en face de moi, dans le salon, et elle m’a dit, très sérieusement et tristement, qu’elle allait devoir m’envoyer dans une maison spécialisée pour les handicapés parce que je ne pouvais pas continuer à vivre comme ça, seule, dans mon appartement, avec mes béquilles, que c’était trop difficile pour moi, et que je prenais trop de temps et d’énergie à mon frère en lui téléphonant dix fois par jour pour lui demander de l’aide.

Après une seconde un peu choquée, j’ai compris qu’elle parlait d’elle-même, que ma faiblesse était devenue le miroir de sa faiblesse, et qu’en m’expliquant la nécessité d’aller dans une maison spécialisée, elle se l’expliquait à elle-même. J’étais devenue elle.

Une fois à l’hôpital et dans ses maisons de retraite, ma mère, qui pourtant avait elle-même travaillé pendant des années dans des maisons de retraites (et a une fille handicapée depuis 45 ans, ne l’oublions pas), n’a pas du tout supporté d’être avec d’autres “fous” (comme elle les a appelés pendant longtemps). Elle ne comprenait pas pourquoi elle était entourée de “malades” et de “vieux qui puent” et les a souvent ridiculisés méchamment. Cela m’a longtemps troublé et je n’arrivais pas à comprendre cette nouvelle aversion.

Et puis la semaine dernière, je suis allée lui rendre visite à Paris, et à force de passer du temps avec elle, calmement, j’ai réussi à la faire parler d’autre chose que de son angoisse constante. Tout d’abord, un jour, alors qu’elle comptait avec dédain les “gens mal foutus” avec “leurs vélos” (c’est-à-dire leurs chaises roulantes) qui prenaient leur goûter avec elle, je lui ai demandé pourquoi c’était si difficile pour elle d’être avec ces personnes âgées et malades. Elle m’a répondu “parce qu’ils sont faibles!”

Et quelques jours plus tard, alors que je lui tenais la main pendant qu’on essayait de “faire une petite sieste,” elle a soudain ouvert les yeux et m’a dit “tu es la meilleure, tu sais!” Ce à quoi j’ai répondu “c’est parce que tu étais pas mal comme mère, toi aussi,” et c’est là qu’elle m’a rétorqué sans hésitation, “non, moi j’étais une mère faible!”

A cet instant, j’ai enfin compris pourquoi elle est si inconfortable en compagnie d’autres “fous” et “vieux” et de tous ces gens “mal foutus.” C’est parce qu’elle est eux, comme elle était moi quand elle m’a expliqué que je devais aller dans une maison spécialisée. Ces gens lui sont un constant miroir de sa faiblesse et de sa maladie. Elle est eux et ils sont elle, et ça, elle ne peut pas l’accepter.

(Ces magnifiques photos de rhododendrons ont été prises par ma copine Michèle. J’avais besoin d’un peu de couleur, entre la neige qui n’arrête pas de tomber ici et les soucis incessants pour ma mère.)

7 comments

  1. Quel chemin douloureux pour toi et ta maman, cependant j’admire ta force et cette lucidité qui permet d’analyser l’inexplicable
    Dommage de ne pouvoir joindre une photo dans les commentaires
    Je t’aurais offert ces jonquilles cueillies hier près du lac

    jonquilles

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  2. c’est une analyse qui est très certainement vraie, je suis très triste pour toi, ta mère et moi-même, parce que cette analyse me touche profondément..
    je t’embrasse
    les rhodo sont superbes..ici ils ne fleurissent que en mai..

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Merci pour vos commentaires que j'adore :)