c'est pas moi je l'jure!

moi je

  1. Je suis née au début des années septante
  2. Je suis née en France
  3. Je suis fille d’intellos soixante-huitards
  4. Je suis une femme
  5. Je suis blanche
  6. Je suis handicapée

Tous ces éléments ont en commun le fait que 1) je n’ai eu absolument aucun contrôle sur eux ni avant ni après ma naissance, 2) ils sont immuables, et 3) ils font que j’ai eu l’éducation que j’ai eue, que je pense de la façon dont je pense, que j’ai eu les chances et les opportunités que j’ai eues, que j’ai eu les soucis et les difficultés que j’ai eus, et que je vis la vie que je vis aujourd’hui.

Si j’étais une femme blanche née sans soucis de santé dans une famille d’intellos soixante-huitards au début des années septante en France, ma vie serait à 100% différente!

C’est pour ça que je déteste l’expression “être une personne en situation de handicap.” Je ne suis pas “une personne en situation de blanche” ou “en situation de femme” ou “en situation de française.” Aucun des éléments ci-dessus n’est temporaire ni secondaire. Ils sont tous aussi importants les uns que les autres et ont tous autant contribué à faire de moi la personne que je suis. Je pourrais être “en situation de précarité” peut-être, un jour, pendant un certain temps, mais ça ne ferait jamais de moi la personne que je suis autant que mon handicap et le fait que je suis une femme blanche française née au XXème siècle de parents intellos. Tout ça, ça ne pourra simplement jamais être “détaché” de moi, même pour quelques heures. Il n’y a pas une heure de ma vie où ce que j’ai dit, fait, ou ressenti n’a pas été influencé par mon handicap, où et quand je suis née, le fait que je suis une femme, etc.

Pour moi, une “personne en situation de handicap” c’est quelqu’un qui s’est cassé une guibole et doit marcher avec des béquilles pendant un mois. C’est temporaire, et ça ne définit en aucun cas cette personne–et ne changera probablement pas grand chose à la vie de cette personne à long terme.

Alors bien sûr que je ne veux pas être définie uniquement par mon handicap, mais pour moi, ne pas reconnaître que mon handicap prend une grande place dans ma vie est tout aussi problématique. Je comprends bien que tous les “handicaps” ne sont pas les mêmes et que toutes les personnes avec ces handicaps différents ont des personnalités différentes et vivent leur handicap de façon plus ou moins positive/négative et apparente/dissimulée. Donc je comprends que différentes personnes veuillent être décrites de façons différentes. Mais je trouve qu’éviter d’utiliser le mot “handicapé” fait de “cet état” quelque chose de très négatif, quelque chose qu’on évite de mentionner pour ne pas faire de faux pas, quelque chose dont il ne faut parler qu’avec beaucoup de political correctness, comme quand on hésite à dire “black” ou “African American.” Le problème se trouve dans la connotation négative qu’on donne au mot pour décrire ce fait d’avoir un handicap et donc dans l’image qu’on a du fait lui-même: être handicapé c’est automatiquement perçu comme “une chose entièrement négative” donc on doit éviter de le mentionner et donc on tourne autour du pot de façon inconfortable pour tout le monde.

Alors que franchement, mon handicap m’a apporté plein de choses positives! Par exemple je peux (toujours!) me garer en ville gratuitement pendant deux heures! Allez, ne me dites pas que vous n’êtes pas jaloux maintenant 😉

28 comments

  1. Explication très claire… et compréhensible totalement!
    Maintenant, que penses-tu des mots employés beaucoup en Suisse “personne à mobilité réduite”?
    Il y a des termes qu’il faut faire attention d’employer. Handicapé désigne un état et n’est ni dénigrant ni une insulte. Un terme qui est beaucoup employé à tort, c’est “mongol”, pour désigner quelqu’un atteint de la trisomie 21. Or, mongol, c’est une nationalité. Et maintenant que tout le monde sait que la Mongolie est un état, il n’est plus du tout juste d’employer ce terme pour désigner des gens avec le Syndrome de Down. (et je fais passer ce message chaque fois que je peux, suite à la lecture du très émouvant “Mongol” https://www.amazon.com/Mongol-Uuganaa-Ramsay/dp/1908643412

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  2. Oui, en effet… tu as raison. Je n’aime pas ce “mot” ou cette définition non plus. Une personne est ce qu’elle est… les cheveux carotte aussi étaient considérés comme un handicap à un certain moment donné… ma tantine adorée avait les cheveux carotte et des taches de rousseur sur une peau aussi blanche que du yaourt nature.
    Quand une personne naît différente, cela ne veut pas dire qu’elle ne peut plus vivre (je ne parle pas des cas ultra lourds là) et cela m’horripile, tout comme toi, de me sentir dénigrée, rabaissée à cause que je ne soit pas tout à fait comme les autres et pourtant… tout comme toi, j’en fais parfois plus qu’une personne née “normale”. On a le système D dans la peau! 😀
    Cependant, il ne faut pas se le cacher… il y a des choses que l’on ne peut faire comme tout le monde et il faut s’adapter ou être aidées avec des stationnements ou des accès plus faciles… mais c’est tout… ou presque… mais c’est pas pire que les rambardes et les accès et les stationnements spéciaux pour les mamans avec des bébés et des poussettes…
    Et oui, je suis jalouse car ici, on les paient, les stationnements pour “handicapés”… enfin… soupirs… au moins il y en a encore qquns dans la ville… pour le moment…

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    • C’est certain que certains handicaps sont beaucoup plus lourds et difficiles à vivre que d’autres. Moi, j’ai de la chance de pouvoir être entièrement indépendante, mais la situation est terrible pour beaucoup d’autres personnes, hélas! Et le monde s’en fiche, en général…

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  3. Je n’avais jamais pensé au handicap de cette façon, et je suis satisfaite d’avoir enfin compris de quelle manière tu réagis face à cela. Je n’avais jamais pensé à l’handicap de mon fiston comme tu viens si bien de le décrire, merci pour ça
    je t’embrasse
    bon jeudi

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  4. Geneviève

    Je suis bien d’accord avec toi. J’ai un problème avec cette expression, déjà qu’elle rallonge le tout… 😉

    Un jour un gars qui milite pour les droits des handicapés / contre la discrimination m’a cependant expliqué qu”‘on” préfère désormais utiliser cette façon de dire, parce que ça souligne le fait que la société / la ville / l’employeur n’a pas de différence à faire entre ces personnes-là et les autres, les valides, tout le monde est autant capable que son voisin.

    Mais certaines personnes ont besoin d’aménagements spécifiques pour fonctionner aussi bien que le reste (ex : un logiciel de lecture de contenu web / un ascenseur ou une rampe d’accès / un évier surbaissé ou des WC suffisamment larges pour faire entrer le fauteuil….). D’où l’emphase sur la “situation” de handicap : selon ces militants, le handicap est autant intérieur, personnel, inné, que extérieur, sociétal et fabriqué, voire renforcé par la société de valides majoritaires.

    Disons que je comprends aussi cette façon de voir les choses, mais je n’y souscris pas. J’aime bien mieux la tienne. 💜

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    • Je comprends bien la “situation de handicap” quand on doit effectivement DEMANDER de l’aide ou quelque chose de spécial pour pouvoir vivre “normalement” (rampe, logiciel, etc.) mais je ne sais pas si c’est vraiment utilisé comme ça ou si c’est juste une façon d’éviter de dire “handicapé.” Ma frangine me disait (et je l’ai souvent entendu ailleurs) qu’on ne dit pas “une personne cancereuse” mais “qui a un cancer” parce que le cancer ne définit pas la personne, et le handicap ne devrait pas non plus définir la personne. Mais un cancer n’est pas permanent comme la majorité des handicaps, donc je ne suis pas d’accord avec cette analogie.

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  5. N

    Et bien hier justement je suis allée à la piscine en voiture parce qu’il pleuvait, et je me suis rendue compte que le stationnement en face du centre sportif est limité à une heure! UNE HEURE! Depuis quand les gens vont faire du sport, se changent à toute vitesse, et ressortent, en moins d’une heure? Et ça c’est pour ceux qui n’ont pas de handicap! Mais bon, je suis allée voir la réceptioniste et elle m’a dit que le type de la ville qui donne les contraventions commence à travailler à 10h seulement, donc j’avais un bon deux heures devant moi… La prochaine fois, je peux aller me stationner en face du musée, là c’est gratuit pour 3h.

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  6. Miyax

    En France, l’humoriste Fary (qui est lui-même métis) s’est moqué dans son dernier spectacle des gens qui disent “les blacks” pour ne pas avoir à dire “les noirs”. Même si je pense que c’est important de pouvoir dire “les noirs”, je pense comprendre pourquoi certaines personnes dépourvues à 100% de racisme utilisent le mot “black”. On a tous déjà vus le racisme à l’œuvre et on veut éviter, même si on le fait maladroitement, le moindre risque d’amalgame avec une pensée nocive…
    Sur les termes “handicapé.e” et “en situation de handicap” je n’y avais j’aimais trop réfléchi mais ton analyse me paraît tout à fait logique.

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    • Question bête: pourquoi “black” est moins négatif que “noir”? C’est drôle, je ne savais pas du tout qu’il y avait cette différence en France, ici on n’a évidemment pas ce problème, mais aux Etats Unis le débat est entre “black” et “African American,” bien sûr. Certaines personnes revendiquent même le droit d’utiliser le “N-word” entre eux.

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      • N

        Mes enfants ne disent ni noir, ni blanc en parlant de leurs copains de classe mais beige et marron. (Eux ils ne sont pas trop beiges, mais pas très marrons non plus… Mais on en reparlera à la fin de l’été! hi hi hi).

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      • Miyax

        Je pense qu’au moment où le racisme était décomplexé en France (au moment de “Touche pas à mon pote” etc…) le mot “noir” a été utilisé par de nombreuses personnes mal intentionnées, et qu’il a été vidé de son sens premier (descriptif, factuel) et transformé (connoté négativement)… Ou du moins, ça a pu donner cette impression, et les gens bien l’emploient aujourd’hui avec des pincettes, craignant d’être mal interprétés.
        C’est une impression générale, je n’ai pas fait de recherches 🙂

        Par ailleurs, je ne saurais trop te recommander la superbissime série “Dear White People”. Le résumé Netflix dit : “Des étudiants noirs font face aux affronts quotidiens et aux décisions polémiques d’une prestigieuse fac américaine pas aussi “post-raciale” qu’elle ne le paraît.” C’est une réflexion extrêmement fine et aboutie sur la discrimination positive, le métissage, le racisme résiduel, la catégorisation des personnes, portée par des acteurs peu ou pas connus mais parfaits. Visuellement c’est très beau, intellectuellement c’est brillant, c’est très bien construit, les personnages sont tous différents et très bien campés, et ça se veut ancré dans son époque. Et que ça fait du bien de voir enfin des personnes non blanches en majorité à l’écran !

        L’autre série intéressante à ce sujet, quoique moins inoubliable, c’est Master of None. Le producteur et acteur principal est indien, et il y a un épisode où il explique que les luttes raciales ont assez progressé pour qu’on puisse avoir maintenant des personnes issues de minorités ethniques dans des rôles principaux de films ou séries mainstream, mais jamais plus d’une. Par exemple, s’il y a deux personnages principaux, les deux peuvent être blancs, ou l’un sera blanc et l’autre noir, asiatique ou indien…. mais jamais il n’y aura deux minorités ethniques en rôles phares d’une oeuvre qui ne porte pas sur un thème communautaire ou ethnique.

        Bref, si tu en as l’occasion, ne passe pas à côté de Dear White People 🙂 Vraiment.

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  7. CECILE

    Suite à un accident de vélo, il y a 4 ans, j’ai été déclarée invalide à 7%, c’est-à-dire voisin de pas grand chose. Je ne suis pas “à mobilité réduite” (j’ai fait récemment 23 kilomètres en montagne), j’ai juste des douleurs de temps en temps et une légère claudication. L’autre jour, ma petite fille voulait aller aux toilettes dans un lieu public et j’entre avec elle dans les toilettes réservées aux handicapés. Elle s’en étonne, je lui explique que je ne voulais pas la laisser toute seule et, philosophe, elle remarque :”De toute façon, toi tu es quand même un petit peu handicapée”. J’ai bien ri !

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  8. lejardinki

    ma fille préfère ” en situation de handicap ” simplement pour distinguer sa personne du handicap, je comprends votre opinion , mais en tant que sa maman, je ressens la même chose qu’elle à savoir que dans sa situation corporelle un peu chelou 😉 il y a une personne autant indéfinissable qu’une autre, et une personne entière. Parfois les réactions des autres, indifférence feinte ou peur affichée, me donnent envie de parler, vous savez, derrière le handicap, il y a une personne, comme vous…https://lejardinki.com/2019/05/08/sur-les-ailes-de-maelle/

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    • Maelle, chaque personne a le droit de se définir comme elle veut et de parler de ses “différences” (quelles qu’elles soient) de la façon qu’elle choisit 🙂 Comme je l’explique dans ce post, personnellement, il m’est impossible de distinguer ma personne de mon handicap, puisque sans mon handicap je serais une autre personne. Mon handicap a fait de moi la personne que je suis 🙂 Il n’est pas la seule chose qui me définit, comme je l’explique, et je vois par exemple les adjectifs “femme” et “blanche” comme tout aussi importants dans cette construction de qui je suis que “handicapée.”

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Merci pour vos commentaires que j'adore :)