Cet après-midi, quelque chose de bizarre m’est arrivé. Depuis quelques jours, ma banque a bloqué mon accès internet à mes comptes bancaires parce que j’ai dû merdouiller une fois, et ensuite ils m’ont posé des questions de sécurité du genre “quelle assurance avez-vous pour le compte X” ou “combien est-ce que vous avez déposé d’argent sur le compte Y en janvier…” Et bien sûr je ne savais pas les réponses.
Donc cet après-midi, j’ai téléphoné à ma banque et expliqué ma situation à mon banquier qui m’a donné toutes les réponses aux questions de sécurité qu’on pourrait me poser et m’a envoyé chez les “débloqueurs de comptes.”
Aux Etats Unis, le truc le plus utilisé pour vérifier que vous êtes bien vous (banques, université, voitures, etc.) c’est le numéro de sécurité sociale. On l’utilise tout le temps, et douze ans après avoir quitté les Etats Unis, je le sais encore par coeur. Au Canada, on utilise le nom de jeune fille de sa mère.
Donc au téléphone avec la débloqueuse de compte en banque, la première question qu’elle m’a posée était “quel est le nom de jeune fille de votre mère?”
Et c’est là que le truc étrange est arrivé. Ce n’était pas des mots mais plutôt une série de petits mouvements dans mon cerveau, de connections, d’émotions, et de questions, un peu tout mélangé… du genre “le nom de jeune fille de ma mère? Ca existe encore ce truc? Est-ce que j’ai le droit de l’utiliser alors que ma mère … n’est plus là… n’existe plus… est partie…? Mais… je n’ai plus de mère alors comment est-ce que je peux encore utiliser son nom de jeune fille? … Attends, j’ai encore ma mère, qu’est-ce que je raconte?! Mais elle n’est plus là… Qu’est-ce qui se passera quand elle sera morte? La banque s’en fout de si elle est morte ou non, son nom de jeune fille sera toujours son nom de jeune fille!” Etc.
C’était confus, ce n’était pas des mots, pas des phrases, mais plein de petites explosions de neurones en même temps, en quelques secondes… Mais c’était la première fois de ma vie que je me suis vraiment rendue compte que ma mère “n’est plus là.”
Après mon départ de Suisse, ma mère m’écrivait des lettres et je lui parlais un peu au téléphone quand j’appelais mon père. Après leur séparation, ma mère m’appelait au téléphone et on s’écrivait souvent des emails. Avec le temps, ma mère m’écrivait de plus en plus d’emails et je l’appelais de plus en plus souvent, surtout depuis deux-trois ans. Depuis un-deux ans, en plus des très nombreux appels téléphoniques avec elle (souvent plusieurs fois par jour), notre mère était le centre de toutes les conversations avec mes frangin/frangines. Et depuis janvier jusqu’au début de l’été, je recevais des dizaines de textos tous les jours de mes frangin/frangines/zia à propos des dernières mésaventures médicales et hospitalières et légales et administratives de ma mère.
Et puis là, depuis deux-trois mois, ma mère semble s’être habituée à son nouvel environnement, la zia est en vacances loin de Paris, tout le monde semble avoir eu besoin de vacances… et c’est un peu le silence. Je n’ai pas eu d’email de ma mère depuis plus d’un an. Plus de coups de téléphone depuis novembre. Et la dernière fois que je l’ai vue et lui ai parlé, c’était le 16 mai.
Ma mère “n’est plus là” dans ma vie, ma mère ne sera plus jamais “là” dans ma vie. J’utiliserai le nom de jeune fille d’un fantôme comme réponse de sécurité pendant le restant de ma vie canadienne.
C’est bizarre.
Oh j’imagine bien cette prise de conscience…
un gros hug pour toi!
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Merci 🙂
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C’est difficile de voir nos proches s’en aller, ça rend notre propre mortalité un peu plus présente. Il y a un joli livre qui parle de toutes ces émotions c’est “Le Jardin d’Epicure” de Irvin Yalom.
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J’ai lu un bouquin d’Irvin Yalom, Lying on the Couch, très sympa. Par contre ma propre mortalité… elle me fait chier parce qu’elle n’arrive pas!
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Certainement bizarre mais réconfortant de savoir que quoiqu’il arrive elle sera là pour te secourir….. enfin secourir tes données précieuses ! Je t’embrasse fort
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😆 merci de m’avoir fait rire!
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C’est tristement beau, ce que tu écris…
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Bof, c’est juste bizarre, je trouve… Mais j’imagine que c’est normal de penser des trucs inhabituels quand on fait face à une situation inhabituelle 🙂
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j’imagine que tu dois te sentir un peu “vide”, je m’exprime mal, mais j’espère que tu me comprends..ta mère, présente ou non, physiquement ou non, sera toujours ta mère..et je trouve juste que le nom de famille d’une mère est plutôt facile à trouver pour des malveillants, ce n’est pas trop secure..
(j’ai gardé mon nom de “jeune fille”, je n’ai aucun papier personnel au nom de mon mari depuis bientôt 40 ans..ce qui serait pour mes enfants pas du tout secure)
Très jolies photos encore, pleines de peps et de couleurs, et il y a un lapin qui me plairait bien en poterie..
bises
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Le lapin était entouré de plein de petits lapinous, c’était adorable 🙂
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Mercredi 29 août.. je rentre à Paris. La présence sera plus que présente même si difficile…..
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❤
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Tes mots sont très émouvants. Et, bizarrement, les photos végétales qui s’intercalent entre les paragraphes distilleraient presque de l’apaisement… Je ne sais pas si c’était le but.
Je t’embrasse.
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Je trouvais que ces photos allaient bien avec le texte, oui 🙂
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Encore une fois je lis et voudrais juste être avec toi, siroter un café, un thé, être là pour pouvoir t’écouter, entendre cette vie qui s’en va… je t’embrasse tendrement
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Siroter un café avec toi serait une excellente idée, c’est quand tu veux 🙂
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Il semblerait que tu aies déjà commencé le travail de deuil, ce qui peut se comprendre, vu la situation. Mais je comprends que cela te perturbe, aussi. (A ma banque, on peut choisir ses questions de sécurité, de “quel a été votre premier voyage en avion?” au nom du premier hamster, en passant par le nom de jeune fille de la mère…)
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J’ai aussi ce genre de question, au départ, mais ça a merdouillé, alors après ça a empiré 😉
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subjonctif présent de bouillir
“…
il bout, elle bout, ça bout
…”
pas le bon article, quoique…
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