c'est pas moi je l'jure!

miss invisible

Un jour, j’ai raconté à ma vieille voisine anglaise la règle du 20-40-60 (et qu’heureusement je n’avais pas attendu d’avoir 60 ans pour me rendre compte de cette importante vérité):

A 20 ans, on se soucie beaucoup de ce que les gens autour de nous peuvent penser de nous. A 40 ans, on s’en fiche complètement de ce que les gens autour de nous peuvent penser de nous. Et à 60 ans, on se rend compte que les gens autour de nous n’ont jamais vraiment pensé quoi que ce soit de nous! Chacun ne pense qu’à soi-même. 

… et elle m’a répondu, “oui, mais après 60 ans, on devient encore plus invisible!”

Aujourd’hui, j’ai lu un très chouette article dans le New York Times à propos des restaurants dans lesquels on allait à 20 ans, 40 ans, 60 ans… L’auteur, Frank Bruni, expliquait qu’il était maintenant trop “vieux” pour avoir envie d’aller aux restaurants les plus modernes, huppés, avec de la bouffe compliquée, de la musique trop forte, des sièges inconfortables, si peu de lumière qu’on n’arrive même plus à lire les menus, etc. Mais ce qui m’a le plus interpellé dans son article, c’est qu’il parlait justement du fait que plus on vieillit et plus on devient invisible. Or, quand on va souvent dans les mêmes restaurants où on se sent confortable, on finit par être reconnu par le personnel de ces restaurants, et grâce à ça, pendant un petit moment, on n’est plus invisible.

Fish and chips à mon resto préféré, The Marc

Cette histoire m’a rappelé le commentaire de ma gentille voisine anglaise. J’aime encore beaucoup découvrir des nouveaux restaurants, mais en même temps, je me rends compte que j’aime de plus en plus la routine d’un ou deux restaurants que j’aime particulièrement, où les choses sont simples et bonnes, où je sais à quoi m’attendre, et où le personnel me connaît bien. J’aime être saluée par mon prénom et avoir “ma table” qui m’attend. J’aime quand le propriétaire vient me serrer la main et papoter un moment. J’aime quand la serveuse me dit “un chocolate martini comme d’habitude?” Je n’avais pas pensé à l’idée de ne plus être invisible, mais c’est vrai que c’est très agréable de se sentir visible et appréciée, le temps d’un bon repas.

(C’est malin, ça fait maintenant plus d’une heure que je suis en train de me demander si je suis plutôt visible ou plutôt invisible, au quotidien! Pour l’instant, je pense que je suis très visible, physiquement, parce que la première chose que voient les gens, c’est mes béquilles. Mais en même temps, à cause de ce handicap visible, je deviens aussi immédiatement insignifiante, négligeable, inférieure, aux yeux des gens. Donc la réelle valeur de ma vie est invisible. Mon corps est très visible mais “moi” complètement invisible. C’est intéressant comme problématique, non?)

29 comments

  1. alcib

    J’ai l’impression de comprendre un peu de quoi tu parles 😉
    Quand je sortais souvent dans les bars, j’aimais beaucoup que le barman se souvienne de ce que je buvais… Et parfois il me l’offrait « on the house ».
    Quand on te salue par ton prénom, c’est par « Dr » ou par « CaSo » ?
    J’ai eu de bonnes habitudes dans quelques restaurants où les propriétaires m’offraient un verre de vin (ou autre chose si je préférais). Encore maintenant, même si je n’y vais pas souvent, le restaurateur chinois près de chez moi m’offre toujours un verre de porto. Il y a un autre restaurant, portugais, où je suis allé très souvent, mais beaucoup moins ces dernières années ; pourtant, le patron m’offre toujours un verre… même si le restaurant est toujours bondé.
    Je dis souvent, à la blague, que je ne pourrais pas faire de mauvais coup dans le quartier car tout le monde saurait qui je suis… à cause de Rupert.
    Mais il m’arrive d’aller quelque part, dans un restaurant ou un autre type de commerce, et d’être surpris par une question venant de quelqu’un que je ne reconnais pas : « Où est Rupert ? »
    Je me sens un peu plus invisible qu’auparavant, mais je ne m’en plains pas : c’est bon de pouvoir marcher dans la rue sans être sans cesse interpellé par quelqu’un… Évidemment, avec Rupert, cela ne m’arrive pas souvent (d’être ignoré).
    Quand j’aurai… 40 ans, je reviendrai commenter cet article 😉

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    • 😉 C’est sûr qu’avec un compagnon aussi adorable que Rupert, on ne peut plus t’ignorer! (et on m’appelle par mon vrai prénom, bien sûr, et pas par mon nom de famille, où alors là ça serait avec le Dr. devant!)

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  2. alcib

    Tu me fais penser que je m’étais promis, récemment, d’aller manger un bon fish & chips dans un restaurant britannique, avec une amie anglaise qui adore les fish & chips..La dernière fois que nous y sommes allés, Rupert était avec nous… sur la terrasse.

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  3. alcib

    Je crois qu’un handicap, quel qu’il soit, ou autre chose qui attire l’attention sur un point en particulier plutôt que sur la personnalité dans son ensemble, crée chez plusieurs personnes une certaine « barrière », un manque de spontanéité dans l’interaction avec cette personne handicapée ; l’attention est retenue par le handicap, même si l’on essaie d’avoir un échange « normal », spontané… On aura beau parler de la météo ou d’un événement quelconque dont tout le monde a entendu parler, une partie de l’attention risque d’être accaparée par le handicap, le nez rouge, l’oeil au beurre noir… ou quoi encore.

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  4. J’ai toujours été invisible. Peut-être qu’à 60 ans ça changera !
    Je n’ai plus les moyens d’aller régulièrement au restaurant mais avant, j’avais mes habitudes et oui, on me reconnaissait. J’aimais bien.
    Quant au handicap, es-tu sûre que ça rend la personne insignifiante ? Ce n’est pas une peur qui s’installe car l’autre est face à l’inconnu et qu’il ne sait pas comment le gérer ?

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    • Tout le monde est jugé en une demi seconde, il y a des centaines d’études qui prouvent qu’on fait immédiatement plus confiance aux hommes aux cheveux blancs, qu’on écoute plus volontiers les grandes femmes, qu’on donne plus facilement des responsabilités aux femmes avec des gros nibards, etc. (je ne sais pas les détails mais c’est ce genre de truc). Alors oui, je suis à 100% sûre que quand les gens voient un handicap, plus il est visible, et plus la “valeur” de cette personne sera immédiatement diminuée. Et si tu n’es toujours pas convaincue, comme je le disais là-bas (https://cestpasmoijeljure.com/2014/04/07/sur-la-route/), essaye de vivre avec un handicap visible pendant quelques jours et tu sauras de quoi je parle 🙂

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  5. Je dois être vieille dans ma tête, parce que je n’aime pas les restaurants où il fait sombre et où la musique est trop forte ! Et j’aime bien retourner toujours aux mêmes endroits, aussi.

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  6. Moi, je ne peux pas blairer les restos de jeunes où la bouffe est un concept et la musique est tellement forte qu’on s’entend pas parler. Mais même quand j’étais jeune, j’aimais pas ça. Je crois que les jeunes y vont pour cautionner le fait qu’ils sont jeunes. Des fois que ça se verrait pas.

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  7. Il y a quelques années, déjà, que je me fonds dans le paysage au point que les gens ne me remarquent même pas. Une fois, le directeur du collège a carrément sursauté en voyant que j’étais dans la salle des profs où il était rentré deux minutes auparavant sans me dire bonjour!

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  8. “Mon corps est très visible mais “moi” complètement invisible.” C’est intéressant, oui, mais triste 😥
    Avec ou sans béquilles, notre “nous” est invisible aux étrangers, non ?
    Sur la règle des 20-40-60, ou pas loin, j’ai lu un jour dans un roman (je crois que c’était “Un été sans les hommes” de Siri Hustvedt) ceci : la mère de l’héroïne disait qu’à 20 ans elle n’aimait pas son nez busqué ; qu’à 40 ans (ou 50, je ne sais plus) elle se trouvait sotte de s’être lamentée sur son nez à une époque où elle était mince et fraîche ; et qu’aujourd’hui qu’elle était une vieille femme elle se trouvait sotte de s’être embarrassée de détails comme des rides ou des kilos en trop à une époque où elle était alerte et en forme…
    Ca m’a beaucoup fait réfléchir.

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  9. Cette règle est assez censée.
    C’est agréable d’être reconnue dans les restaus, les commerces, par des gens avec qui n’ont pas de rapports affectifs, ou de force avec nous… Par des gens qui sont complètement neutres dans notre vie, avec qui il n’est question que d’échanger des propos sans importances qui ne vont nous entrainer sur aucun terrain glissant…
    Loin des repas de famille ou des réunions de travail 😉
    Depuis que j’ai passé 50 ans, je suis devenue assez transparente aux yeux des hommes. Je n’avais pas l’habitude de ça. Au début c’est déconcertant et après on s’en fout royalement, c’est réciproque.
    Je suis entièrement d’accord avec la mère de l’héroïne de Mijax. C’est tout à fait ça! 😀

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  10. samantdi

    N’ayant jamais été ce qu’on appelle « une jolie femme », vieillir ne m’a pas rendu transparente, je continue à avoir des interactions avec des personnes qui aiment une certaine fantaisie, qui ne s’arrêtent pas aux apparences, et dans l’ensemble j’adore vieillir (sauf qu’on voit mourir des gens qu’on aime et ça c’est nul).
    Je viens de subir deux opérations orthopédiques. Au début, j’étais dans un centre de rééducation: pour les autres j’étais « normale » puisque tout le monde avait un problème de mobilité. Un jour, je suis allée en RV dans la clinique où j’avais été opérée et les gens me dévisageaient de la tête aux pieds, je me suis sentie mal parce que je me déplaçais difficilement avec deux béquilles. Dans les mois qui ont suivi, j’ai marché avec une canne un certain temps, et là aussi, j’ai eu l’impression d’être l’objet d’une attention qui ne convenait pas (curiosité ou pitié) sauf dans le métro où il fallait que l’ami qui m’accompagne disent aux mecs de 18 ans assis qui regardaient attentivement leur portable : « Excusez-moi mais vous pouvez laisser votre place? »

    Bref maintenant que je marche normalement, j’envoie tout mon amour aux personnes à mobilité réduite parce que le regard des autres sur elles, c’est pas de la tarte.

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  11. alcib

    Être visible ou pas ? Voir ou être vu ?
    Michel Tournier disait que c’est gênant pour un écrivain d’être reconnu dans la rue, car alors, étant remarqué, observé, il devient moins libre d’observer lui-même les gens et ce qui se passe autour de lui…
    J’ai peut-être déjà raconté ici cette anecdote, je ne me souviens plus.
    La dernière fois que j’ai fait un examen de la vue, il m’a fallu changer mes lunettes car l’optométriste m’a dit que ma vision s’était considérablement améliorée au cours des années précédentes.
    Quand vint le temps de choisir une nouvelle monture, on me proposait divers modèles qui me plaisaient plus ou moins… Puis, une secrétaire est arrivée, elle est allée directement chercher une monture sur le présentoir et m’a demandé de l’essayer. Ce fut le coup de foudre immédiat… non pas entre la secrétaire et moi, mais de ma part pour la monture.
    Quand j’y suis retourné quelques semaines plus tard, je ne sais plus pour quelle raison, on m’a demandé si j’étais toujours content de mon choix de monture ; j’ai répondu : « Non ! Pas du tout ! »
    « Et pourquoi donc ? » m’a-t-on demandé, très surpris.
    « Parce que, maintenant, les gens que je rencontre me disent que j’ai de belles lunettes, alors qu’auparavant, on me disait que j’avais de beaux yeux ! »

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    • Haha 🙂 J’ai toujours rêvé d’oser me teindre les cheveux en rose ou en vert pour que ce soit la première chose que les gens remarquent chez moi. Mais en fait je pense que les béquilles seraient toujours vues en premier malgré tout… pffff…. Peut-être que si j’avais des super lunettes… 😉

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  12. Boeingbleu

    J’adore les restos où la bouffe est compliquée, mais on dirait qu’ici ce concept est souvent accompagné de musique forte que je n’aime pas du tout. Je demande toujours à ce que l’on baisse la musique (ils ne le font jamais) et une fois je me suis fait dire par la serveuse que j’étais peut-être trop veille pour ce restaurant.

    Je me soucie peu du regard des autres (s’il existe) mais j’ai des goûts assez classiques.

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    • Haha, moi aussi je demande toujours qu’ils baissent la musique et ils disent souvent OK mais ne le font pas 😦 C’est dommage, parfois j’aimerais bien y retourner mais cette musique trop forte est trop penible!

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  13. alcib

    Je refuse d’entrer dans un restaurant (ou un autre magasin) si la musique est trop forte. Il m’est arrivé d’aller avec un ami dans un restaurant sympathique que nous connaissions mais, ce soir-là, il y avait un orchestre de jazz : j’ai refusé d’y entrer. Au prix où sont les repas, s’il faut se faire casser les oreilles toute la soirée et recevoir ensuite l’addition, c’est trop, vraiment trop.
    Une autre fois, je revenais d’une course, j’étais fatigué, j’avais soif et faim… sur mon chemin, il y avait un restaurant vietnamien que je connaissais depuis quelques décennies. J’ai décidé de m’y arrêter. Mais, ce soir là, j’ai reconnu les murs, le mobilier, les luminaires, mais pas le personnel… Un peu surpris, je me suis tout de même assis et j’ai attendu que l’on m’apporte le menu, bien que j’aie su ce que j’allais commander. Quand la nouvelle jeune serveuse, est arrivée, j’ai eu l’impression que je la dérangeais… Elle est revenue prendre ma commande : je lui ai demandé s’il y avait une nouvelle administration, elle m’a assuré que non. Mais, ce soir là, la musique était forte, l’éclairage presque nul au point où je n’arrivais même pas à lire le menu ; je l’ai mentionné, mais cela n’a pas eu l’air de lui faire quoi que ce soit : l’ambiance était pour elle ce soir-là, tant pis pour les (quelques) clients qui restaient en cette fin de soirée. Voyant que mes commentaires étaient reçus avec le plus grand mépris, je le lui ai dit, et je suis parti. Je ne suis jamais retourné à ce restaurant que j’aimais. J’ai peut-être eu tort : peut-être que l’accueil est redevenu depuis ce qu’il avait toujours été par les membres d’une même famille : sympathique, simple et chaleureux ; mais je n’ai pas été tenté de revivre cette expérience frustrante et décevante, car depuis j’ai fait (à moitié) mon deuil de ce restaurant que j’aimais.

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