c'est pas moi je l'jure!

coeurs déchirés

Aujourd’hui, j’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant. J’avais oublié mon téléphone à la maison, ce qui est dommage pour les photos, mais en même temps c’était mieux, parce que personne ne prenait de photos, même la photographe officielle de la FAK. En plus, ça m’a permis de mieux me concentrer sur l’événement lui-même au lieu de le vivre à travers un écran de téléphone.

Sur la photo, vous pouvez voir la vue que j’ai depuis mon bureau. Derrière les arbres, vous pouvez entrevoir le tipi immense qui a été érigé sur le campus et où mes étudiants se retrouvent tous les matins.

Demain, le 30 septembre, c’est un nouveau jour férié pour le Canada. C’est la journée nationale pour la vérité et la réconciliation (page d’explications en français). Après les découvertes tragiques au printemps dernier de corps d’enfants près de plusieurs pensionnats où les enfants des Premières Nations étaient envoyés de force, le gouvernement canadien a décrété ce jour de commémoration nationale afin de “rendre hommage aux enfants disparus et aux survivants des pensionnats, leurs familles et leurs communautés.”

Evidemment, comme mes étudiants viennent tous de communautés des Premières Nations, c’est un moment particulièrement spécial pour moi qui n’y connais pas grand chose à tout ça. J’ai toujours été choquée que l’Université de Ryerson, où j’ai travaillé pendant trois ans, porte le nom d’un des architectes du système des pensionnats où les enfants étaient “forcés d’apprendre l’anglais ou le français, d’adopter le christianisme et de se plier aux coutumes de la majorité blanche du pays” (pour en savoir plus, allez lire cette page en français). L’université a récemment décidé de changer de nom, heureusement! Et les récentes découvertes, qui continuent, grâce à l’aide de mon amie Kisha (qui a même été interviewée par le New York Times), me rendent très triste et touchent souvent de près mes étudiants.

Et donc ce matin, la communauté d’étudiants des Premières Nations du campus avait organisé une cérémonie de purification où tout le monde était invité, et j’y suis allée. Sans téléphone. Il y avait une trentaine de personnes, des militaires et des civils, mes étudiants, d’autres cadets des Premières Nations, mon ami Paul qui s’occupe aussi de mes étudiants, et un Aîné des Premières Nations qui expliquait tout. Tout le monde était en cercle près du tipi et nous avons appris comment purifier notre corps et nos pensées et notre façon de voir et d’écouter et de parler. Paul a ensuite chanté, et j’en ai eu les larmes aux yeux, de penser à ces milliers d’enfants dont le corps et l’esprit ont été déchirés, piétinés, et massacrés.

Il faisait froid et le soleil jouait à cache-cache avec les nuages, mais tout le monde était hypnotisé par ce rituel et ce moment très fort. Je regardais mes étudiants de l’autre côté du cercle, sans masques, sans bérets, avec des chemises oranges au lieu de leurs tenues de camouflage habituelles, et j’espérais que l’Univers leur serait bienveillant et généreux, contrairement à ce qu’avaient dû vivre plusieurs membres de leurs familles et leurs communautés.

–Moment M5

33 comments

    • Pour moi c’était surtout intriguant. Je connais très peu de choses sur ces cultures et leur persévérance, leur fortitude, m’impressionne énormément. Je suis sidérée par le fait qu’ils peuvent encore remercier l’univers pour ce qu’il leur offre après des centaines d’années de maltraitance et de carnage.

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  1. Bleck

    “… ça m’a permis de mieux me concentrer sur l’événement lui-même au lieu de le vivre à travers un écran de téléphone….”
    Merci pour cette phrase, riche de sens à mon humble avis.

    Ce billet est très émouvant.

    Tu as une vue magnifique depuis ton bureau, c’est vraiment dommage qu’elle soit gâchée par une grille toutefois cette vue doit participer à ton plaisir de travailler.

    Bleck

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  2. Danielle38

    Aussi horrible que les enfants de la Creuse. Plus de 2000 enfants de la Réunion ont été déportés en Creuse par l’état et notamment le député Debré ,arraché à leur famille et de 1962 à 1984
    Quelle honte de la part de ces dictateurs s’imaginant avoir la vérité sans respect envers les autres,et pour l’église catholique” faites ce que je dis et non ce que je fais”
    J’arrête ça me met en colère.
    Bonne journée quand même

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  3. catandfivecats

    un récit très touchant et une cérémonie bouleversante assûrement..je connaissais cette triste “histoire” des enfants des Premières Nations, il est arrivé exactement la même chose en Australie, avec les Aborigènes..quelle tristesse! l’homme est parfois horrible envers ses congénères😢
    bisous

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  4. Magali

    J’ai vu plusieurs documentaires sur ces découvertes de centaines de corps dans plusieurs orphelinats. Les sévices corporels, sexuels et mentaux, souvent mortels (électrocution,…) seraient inimaginables s’ils n’avaient été mis à jour.
    Cette cérémonie émouvante et respectueuse était-elle isolée ou répandue dans d’autres lieux publics ?
    La situation des enfants de la Creuse, pour autant que le déracinement soit douloureux, ne saurait être comparée aux martyrs des Premières Nations canadiennes.
    Comparer des situations tout aussi éloignées revient souvent à minimiser la condition la plus horrible.
    Sur le continent américain, les premiers immigrés ont utilisé deux moyens pour s’approprier les territoires : éliminer les bisons, unique source de nourriture, pour faire mourir de faim les populations et détruire la santé mentale et la culture de ceux qui avaient réussi à survivre.
    Qu’en est-il de cette tant attendue et toute récente réconciliation ?
    En Australie, où les Nations Premières ont subi le même sort, une réconciliation vient d’être proposée : la gestion des forêts millénaires et très fragiles. L’Etat considère ainsi qu’il «se rachète». Au delà du piège d’un échec possible pour des raisons qui ne leur incomberaient pas, les massacres peuvent-ils «se racheter» ?
    (je sais, je peux être chiante).

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    • Magali, j’ai eu la même réaction en lisant le commentaire de Danielle38 et plusieurs pages d’information sur ces enfants de la Creuse dont je ne connaissais pas l’histoire: ces drames ne sont pas comparables. C’est sûr qu’en nombres et en temps, ils ne le sont pas. Mais en fin de compte, un enfant est un enfant, et l’arracher à sa famille et à sa culture est un crime. Je crois qu’en ces termes, on peut comparer ces deux histoires tragiques. Comme le disent les Premières Nations aujourd’hui: every child matters!

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    • Bonne question 🙂 C’est un programme d’un an qui offre à ces jeunes adultes des Premières Nations des cours de “leadership” et de communication (payés par le gouvernement canadien). Au bout d’un an, à la fin du programme, ces jeunes peuvent soit intégrer la FAK comme étudiants du cursus universitaire/militaire classique, soit intégrer une université “normale” de leur choix, soit retourner dans leurs communautés pour y utiliser les connaissances qu’ils auront appris pendant cette année.

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