c'est pas moi je l'jure!

el blues del esclavo

En 2018, j’ai rendu visite à une chère amie d’Alberta, Tracey, qui avait pris sa retraite quelques annes auparavant. Quand je lui ai demandé si elle ne s’ennuyait pas trop depuis qu’elle avait pris sa retraite, elle m’a raconté les trois millions de trucs qu’elle était en train de faire: écrire deux articles, terminer d’écrire un bouquin, préparer une conférence qui aurait lieu en Corée, faire un projet de recherche avec un type en Ontario, aider quelques étudiants à terminer leur thèse, remplacer des profs par-ci par-là, etc. J’en étais sidérée! Je lui ai dit “mais, je croyais que quand on prend sa retraite, on arrête de faire ce genre de chose, on arrête de travailler!” Et elle m’a répondu quelque chose de très choquant et que je n’ai compris que cet été, des années plus tard: “On a tellement travaillé tout le temps pendant tellement d’années qu’on ne sait pas s’arrêter, c’est devenu une habitude!”

J’ai cru sur le moment qu’elle plaisantait ou qu’elle avait perdu un boulon. Mais cet été, pour la première fois de ma vie, j’ai compris cette “habitude” dont elle a parlé, cette impression qu’on a encore plein de trucs importants à faire et à écrire et à présenter et à étudier et à enseigner, cette culpabilité terrible qui nous prend à la gorge à la minute où on se dit qu’il est temps de prendre une petite pause ou deux jours de vacances, cette sensation oppressante que “quelque chose ne va pas!” quand on n’est pas en train de stresser et travailler!

J’avoue que jusqu’à maintenant, je pouvais travailler énormément à certains moments, en début d’année scolaire par exemple, quand il fallait embaucher tout le monde, préparer des nouveaux cours, faire les emplois du temps pour toute l’année, planifier toutes les réunions et les projets, etc. Et puis bien sûr lors de projets spécifiques, comme la Longue Nuit Anti-Procrastination et le concours d’écriture. Mais jusqu’à présent, je travaillais par vagues, énormément d’un coup, jusqu’à l’épuisement total, et puis ensuite plus rien, ou pratiquement rien pendant des semaines. Je n’avais aucun remords de bosser le matin et de ne rien faire l’après-midi, ou de prendre un jour de congé au milieu de la semaine, par exemple.

Mais depuis cet hiver, je n’arrête plus. Le soir je me couche, et je me relève dix minutes plus tard pour terminer un truc urgent. Quand j’ai envie de regarder UN épisode de Air Disaster, je me sens horriblement coupable et j’interromps la série au moins deux fois pour bosser une heure sur quelque chose d’important. Le matin, Miss Penny me réveille à 06:00, même les weekends, et je vais prendre ma tasse de thé en répondant à mes emails et en commençant ma journée de travail, et à 10:00 j’ai déjà l’impression d’avoir passé une longue journée bien remplie!

Je ne vois pas comment ça pourrait un jour ralentir. Ma copine Nicolette est dans le même état. On continue, tout simplement, sans s’arrêter, sans respirer, sans trop y penser parce que sinon on s’effondrerait. Ma copine Tracey avait raison, on s’habitue à l’esclavage!

Mortecouille!

16 comments

  1. iamthesunking

    Cat Daddy a pris sa retraite il y a 3 ans, et il pensait à ce moment-là qu’il aurait du mal à laisser tomber le travail, mais non! Maintenant il travaille 2 matins par semaine à la banque alimentaire et sauf ça, il passe son temps à chercher des moyens de se sauver de Louis Catorze!

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  2. En effet certaines personnes sont absolument incapables de s’arrêter de travailler j’ai dans mes connaissances un propriétaire d’entreprise de plus de 70 ans qui touche une retraite royale et travaille chaque jour de la semaine, je pense qu’il ne décroche que huit à dix jours par an… il est marié, sa femme en souffre parce que leur vie est rythmée par les besoins de l’entreprise, je les ai vus quitter une tablée de copains parce que Monsieur avait un appel “important” à passer aux “States” c’était un dimanche chez nous et il ne reviendra pas à ma table.

    Bleck

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  3. Anonymous

    C’est une habitude qui s’acquiert effectivement dès les études supérieures et qui ne se perd que difficilement. Je sais que pour ma part le fait d’être en couple m’a forcé à réévaluer et à temporiser cette pression constante, mais je sais que ça a un prix: je n’aurai jamais de promotion académique parce que, franchement, je ne suis plus prêt à jouer le jeu comme je l’ai déjà été.

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  4. catandfivecats

    J’ai réussi (plus que bien) à oublier mon boulot (absolument pas passionnant et où je m’ennuyais ferme), je me félicite d’avoir tout effacé de ma mémoire (pas difficile, j’entre en Alzheimer). Mon mari aussi, il s’est trouvé des passions manuelles, tel que le tournage sur bois ou la pâtisserie (😡pour mes rondeurs)(d’ailleurs ton clafoutis me fait saliver)😊 et c’est le paradis pour lui!
    Pour toi, je compatis, mais pense à ta santé, morale et physique (ta chute🙄) sinon le burn out pointera son nez😯
    Courage! bise et bon mercredi

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  5. Un peu comme Catandfivecats, j’aurais tendance à te dire de faire attention, à un moment, quelque chose va craquer. J’arrive très bien à ne rien faire sans culpabiliser pendant les vacances d’été ; peut-être ne suis-je pas assez impliquée dans mon travail ?

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    • Eh voilà !! parce que tu as lu deux, trois témoignages de travailleurs z’acharnés, une certaine dose de culpabilisation semble apparaître… c’est fréquent auprès de la population enseignante, c’est assez dommage.

      Bleck

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  6. RdT

    J’ai fichtrement hâte d’être à la retraite (bon, il me reste encore bien 6/8 ans à tirer) pour prendre, enfin, le temps de vivre. J’ai toujours beaucoup travaillé mais j’ai toujours eu aussi beaucoup besoin de faire des pauses, des pauses de bullage.
    Je vis aujourd’hui avec un hyper actif qui ne comprend pas ce besoin, et j’en souffre. Je suis capable de passer une journée à banturler sans presque me rendre compte des heures qui avancent.
    Donc oui, la retraite, et viiiiiiiiiiite !!!!

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  7. Dès demain soir, je suis en vacances durant trois semaines. Et je t’assure que je ne vais absolument pas penser au travail. Glandage au maximum et je me réjouis. Même si j’aime mon nouveau poste, mon corps, lui, me rappelle que j’ai besoin de lâcher prise un moment. Je vais l’écouter.

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  8. J’ai tenté d’envoyer ce commentaire plus tôt mais j’ai accidentellement appuyé sur avant que d’ajouter les renseignements nécessaires… Désolé si tu le reçois deux fois.
    Pour ma part, je me souviens avoir déjà dit qu’en entrant à la maîtrise (aux études supérieures, quoi), j’avais laissé à la porte deux choses: ma santé mentale et le mot «vacances». C’est effectivement à cette époque que la vie académique s’est mise à accaparer l’ensemble de ma vie.
    Cependant, la vie en couple m’a forcé à réévaluer mes priorités et à garder un oeil sur cette santé mentale et sur le besoin de repos, sans pour autant abandonner le travail, car c’était le choix entre un équilibre de vie et la solitude. J’ai dû, j’en suis bien conscient, faire une croix sur l’avancement professionnel jusqu’à un certain point, mais je ne regrette nullement mon choix, même si je trouve encore que le milieu de travail académique reste ancré sur l’idée d’un sacerdoce qui fait le déni des besoins de la personne et encourage l’exploitation, ce à quoi je refuse de me plier.

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  9. Wam

    Je m’étonne toujours que des personnes puissent penser que c’est difficile de s’arrêter de travailler. Je me souviens qu’on nous a posé plus d’une fois la question “c’est pas trop dur de s’arrêter de travailler ?” quand j’ai pris une année off pour voyager (non, franchement, aucun problème)
    Pou vautant, je me demande ce que je ferai et comment je me sentirai quand je serai à la retraite, sans boulot, donc et aussi à priori sans enfants…

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    • Tu te sentiras probablement libérée du poids du salariat et de l’éducation de tes enfants, alors bien évidemment selon les cas ça peut demander une petite période d’adaptation parce qu’il est difficile d’échapper pour beaucoup de monde au formatage professionnel, au poids de notre éducation judéo-chrétienne qui rime assez mal avec les petits plaisirs personnels (dits égoïstes) certains ne s’y font pas, beaucoup prennent un pied considérable.
      En ce qui concerne les enfants eh bien ils ont en général quitté le nid familial et ils s’éloignent de plus en plus comme nous l’avons fait à notre tour, ça peut créer un vide (surtout pour la mère) ensuite il y a l’attitude de façade et la réalité des choses… ‘tain que c’est bon d’être libérés d’un maximum de contraintes ! Ensuite il y a une phase très importante c’est qu’il vaut mieux accepter de vieillir, puisque la retraite ne s’obtient que par l’inéluctable vieillissement de chacun d’entre nous.
      (ce serait bien de raconter ton année de voyage ou année sabbatique, Wham, ce serait vachement bien)

      Bleck

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      • Wam

        Tant de choses à repondre, Bleck 😊
        “libérée du poids de l’éducation de tes enfants”. Ca m’évoque une copine un peu plus âgée que moi, à qui je rendais visite alors que ses enfants quittaient le nid. Je lui demandais si ca ne la rendait pas triste. Elle m’a dit que au contraire, elle allait retrouver sa liberté au bout de plus ou moins 20 ans de service de mère (ou qq ch de ce genre). Ca m’a fait réfléchir et je peux comprendre. Et je me sens à la fois soulagée, libre et vide sans but quand mes enfants sont par exemple en vacances chez des potes.
        ” poids de notre éducation judéo-chrétienne qui rime assez mal avec les petits plaisirs personnels (dits égoïstes)” : oui, c’est tout à fait ça. Je dois m’eduquer à mes plaisirs personnels et j’ai un long chemin pour y arriver (et une famille qui y met des obstacles en appuyant très fort sur le bouton ‘culpabilité judeo chretienne’) . Mais déjà, j’en ai conscience, on va dire que c’est un début.
        De plus, je constate dans mon mode de fonctionnement que je suis portée par le groupe, quel qu’il soit (famille, pour commencer) et suis plus active, dynamique quand il s’agit de faire des choses ensemble ou pour un groupe ou pour sa cohésion.
        Mon année sabbatique : que veux tu savoir ? En un seul mot, je retiens ce sentiment de liberté de dingue !

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        • Bleck

          Merci pour la qualité de ta réponse Wam.
          Mais je veux tout savoir et je suis convaincu que c’est un sujet d’importance qui intéresse du monde, ce n’est pas rien comme décision de faire une authentique parenthèse, il y a tellement à dire… tu n’as pas de blog ou exprimer cet épisode important, je suis curieux certes et j’adore les récits de voyage, de vies pas tout à fait lisses, voilà.

          Bleck

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Merci pour vos commentaires que j'adore :)