c'est pas moi je l'jure!

jugement de valeurs

Si j’ai décidé d’aller voir par moi-même ce qui se passe à Fort McMurray, avec les sables bitumineux, c’est parce qu’en Alberta, la propagande est puissante. La plupart des habitants croient fermement que ces mines sont une bénédiction pour l’économie, que les Premières Nations (habitants d’origine) sont généreusement compensés, que les gens qui bossent là-haut sont heureux de le faire, et que la pollution est minime. Il est donc difficile de ne pas finir par croire au conte de fées.

Ceci-dit, il est vrai que si les sables bitumineux n’existaient pas, Fort McMurray n’existerait pas, et ATPN et Calgary seraient des petites villes sans importance et bien pauvres. Et comme en plus je travaille pour le gouvernement de l’Alberta, il m’est difficile de critiquer ouvertement ces mines. Mais tant pis! Je dois le dire: ce que j’ai vu, entendu, senti, et ressenti m’a horrifiée. Du début à la fin. Je n’ai pas vu, entendu, ou appris une seule chose positive dans cette histoire. Les seuls moments où je n’avais pas mal aux yeux et au coeur étaient dans notre joli petit hôtel, seul havre de calme et de charme de la ville.

Quelques observations:

– la ville elle-même est abominablement déprimante, avec un “centre-ville” misérable, mal entretenu, et pratiquement vide;

– la grande majorité des restaurants sont des fast-foods et autres vendeurs de hamburgers, où les serveuses sont maquillées et habillées (à peine) pour bien plaîre à la clientèle majoritairement masculine;

– les embouteillages sont terribles à cause d’une sur-population qui n’est pas prête de s’arrêter d’empirer;

– les loyers sont tellement élevés que beaucoup de travailleurs saisonniers vivent dans les parcs;

– la drogue, la prostitution, l’alcoolisme, et la violence sont présents comme nulle part ailleurs au Canada;

– la ville (où le taux de syphilis est le plus élevé au Canada) est remplie de casinos et de bureaux offrant des services pour “reconstruire les familles,” “arrêter la drogue,” “retrouver Dieu,” “prendre son pied,” “retrouver l’espoir,” et “faire des bons choix financiers”;

– les sites miniers polluent à qui mieux mieux et les compagnies font tout ce qu’elles peuvent pour redorer leur blason en campagnes de relations publiques de haute voltige et en dons mirobolants à une ville qui essaye désespéremment de retenir ses habitants;

– même les médecins sont recrutés d’ailleur et viennent quelques jours par mois travailler à Fortmac pour des salaires faramineux;

– les gens qui travaillent dans ces usines sont là pour la plupart pour se faire de l’argent, économiser le plus possible, et rentrer ensuite chez eux, mais vivent une vie tellement déprimante qu’ils ont besoin de se changer les idées en voyages et autres dépenses mirifiques et finissent par se retrouver coincés à Fortmac pendant des années, de plus en plus habitués à une vie dépensière et un bonheur artificiel;

– je ne parle pas des Premières Nations parce que je n’en ai pas rencontré.

Je n’invente rien, tout ce que je dis est basé sur nos observations et de très nombreuses discussions avec des gens de là-bas. Je pensais être déprimée par ce voyage. Je suis vraiment choquée et attristée par ce que j’ai vu et entendu (je sais qu’il y a bien pire ailleurs, comme au Nigéria par exemple, mais ça n’est pas une excuse). Je ne regrette pas une seconde d’avoir fait ce voyage, bien au contraire!

Voilà encore quelques photos et trois petites vidéos sur ces trois jours à Fortmac: notre arrivée à Fortmac (anglais-français), le vol au-dessus d’une mine (COUPEZ LE SON de votre ordinateur!!!), et la démonstration de séparation du bitume et du sable (anglais). (Est-ce que quelqu’un sait comment je peux rotate une vidéo sur iMovie?)

Dortoir d'employés des mines

Dortoir d’employés des mines (cliquez sur la photo pour la voir en plus grand)

Devinez qui :)

Devinez qui 🙂

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Tout véhicule roulant sur les sites miniers doit avoir ce petit drapeau et une lumière clignotante sur le toit pour être vu par les énormes véhicules qui sont aussi sur ces sites.

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Camion sur la route du retour (pluie pratiquement non-stop).

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Camion en rade sur la route entre Fortmac et ATPN, baptisée “Suicide 63”

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Qui veut un petit souvenir bitumineux?

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Souvenir très… typique! (photo prise par Katrina)

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Temps génial samedi et dimanche…

"Seriously" northern :)

“Seriously” northern 🙂

Pour terminer sur une note positive après un samedi déprimant.

Pour terminer sur une note “positive” après un samedi déprimant.

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18 comments

  1. bravo pour tes reportages et ton engagement..tu es horrifiée par ce que tu as découvert, mais moi aussi! et d’autres certainement..
    mais que peut on faire? le pétrole est à la base de tant de produits..c’est terrible de n’avoir aucune autre solution pour le moment..
    garde le moral, il y a de belles choses ailleurs..
    bonne semaine, bises bretonnes!

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  2. Calgary

    Je pense qu’il faudrait distinguer les personnes qui vivent à FortMac et ceux qui sont dans les camps des grandes compagnies. Les camps de travail (pas super comme appellation) sont en général des dry camps avec beaucoup de règles pour que les gens restent bien civilisés. Il y a des salles de sport et de jeux électroniques, il y a même un dress code pour le restaurant pour maintenir la civilisation. Des femmes y travaillent sans problèmes et aucune remarque sexiste n’ait tolérée. Mon conjoint est ingénieur à Calgary et a eu l’occasion plusieurs fois de passer plusieurs jours dans les camps de supers grosses compagnies. La sécurité sur le chantier est une priorité. Il y a des tests anti-drugs. Les personnes sérieuses et qualifiées se font embaucher dans les camps (nourries, logées, blanchies) beaucoup de travail, pas d’alcool, test anti-drugs, et zéro écart de conduite toléré et très bons salaires. Les dérives de FortMac ne sont pas dues seulement à l’économie mais aussi à des choix individuels.
    Parce que mon mari travaille sur des projets en dry camp, même dans son Calgary office l’alcool est interdit aux pots pour maintenir la discipline.

    Je sais que je dois être un peu de parti pris. Mais je préfère une exploitation pétrolière en Alberta avec des règles qu’une exploitation pétrolière dans un pays moins civilisé.

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    • Mon Fils ainé a fait un stage de 2mois en Papouasie Nouvelle Guinée , en pleine Jungle = Mêmes régles strictes, et OBLIGATION en fin d’exploration de restituer des sols nettoyés et ré- arborés . Je confirme votre commentaire Calgary .

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  3. Bon, j’ai lu tes 3 posts d’un coup et je me prends quand même une sacrée claque et surtout un fort sentiment d’impuissance !
    Des otages oui, car comme tu le soulignes, personne n’est prêt à quitter son petit confort quotidien, abandonner sa voiture ou ses trajets en avion vers des destinations ensoleillées. Mais entre cette décision radicale et une vie trop abusive, il y a un juste milieu et je pense que c’est en lisant des articles, en parcourant des expériences comme la tienne, qu’un jour on peut avoir le déclic et décider de se dire que non, on est pas prêt à tout abandonner certes, mais que non, on ne veut plus non plus participer à 100% au massacre. Pourquoi ne pas faire des efforts pour moins consommer et être raisonnable, est-ce utopique ?
    Pour ma part, depuis 2 ans je fais du covoituage pour aller travailler, c’est contraignant, parfois (souvent !) ça me gonfle car ça me prive de ma liberté (un peu), mais c’est une bonne habitude à prendre. J’ai aussi décidé de ne prendre l’avion qu’une fois par an maxi et en ville je me déplace à vélo ; j’ai installé 3 collecteurs de pluie dans le jardin et ai abandonné l’utilisation des produits d’entretien au profit de produits naturels. C’est con, ce n’est peut-être pas grand chose, mais chaque année j’essaie d’acquérir une nouvelle habitude pour consommer moins. Je ne suis pourtant pas une écolo dans l’âme loin de là, et vivre dans une yourte ne fait pas parti de mes fantasmes 😉 Toutefois, je pense aux générations futures, il est peut-être déjà trop tard, mais si tout le monde repensait ses habitudes de consommation, de petits riens on arriverait peut-être à faire beaucoup.
    Donc merci pour ces posts, si difficiles soient-ils, qui engendreront peut-être des déclics.

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  4. Et combien tu paries qu’au retour t’auras des niaiseux qui te diront “on t’avait dit de pas y aller, que c’était tout nul et déprimant et dangereux”, et qui n’auront pas compris que justement, c’est parce que tu ne veux pas te voiler la face que tu as choisi d’aller voir tout ça…

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  5. Mr. Lu

    Quelle tristesse cet endroit, ce qui me touche le plus c’est la dévastation du paysage et le saccage des biotopes. la faune et la flore n’ont rien demandé et pourtant ces destructions sont irréversibles et ce n’est pas les soi-disant travaux de remise en état qui annuleront le massacre. Pour ce qui est des humains, il y a une bonne part de choix individuels dans leur descente aux enfers. On peut être peu instruit, et savoir que se droguer ou se saouler en permanence n’apportera rien de bon.
    c’est bien ce voyage, cela me conforte dans mes choix de consommation : la locavore attitude, la chasse au gaspillage, …
    Bon retour et bisoux au chat.

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  6. benjaminisral

    Merci pour cette série de billets… qui fait froid dans le dos !
    Dieu merci, je fais partie de ces Calgariens heureux de ne pas travailler dans le secteur pétrolier (suscitant d’ailleurs beaucoup d’incompréhension chez certains de mes amis). Et pourtant.. il ne faut pas se voiler la face : vivant en Alberta nous sommes tous dépendants de l’industrie du pétrole qui conduit l’économie albertaine (si ce n’est canadienne)…

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  7. fleur d'avril

    Enfin je comprends quelque chose à ces fameux sables bitumineux, merci du reportage privé. Change de métier, et envoie le tout à des journaux écolos dans tous les pays, vraiment !

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  8. Sissi

    Je suis admirative de votre continent , de la richesse des cultures et des paysages qu’on peut y trouver . Quand j’étais enfant , j’ai appris à l’école que le Mato Grosso était un poumon vert , luxuriant et très beau. J’ai eu l’occasion il y a peu de voir un reportage télévisé sur cette région , et je ne comprenais pas les images que je voyais , parce qu’elles ne correspondaient pas à la notion que j’en avais. Ça me fait tout à fait penser à votre reportage : on peut y voir la même folie de l’exploitation à tout prix , parce que c’est l’économie mondiale et l’argent qui gouvernent le monde. Les choses que j’ai apprises il y a 30 ans ne sont plus vraies aujourd’hui par e que nous allons toujours plus vite dans la course au toujours plus. Pourtant , nos parents vivaient avec beaucoup moins , ils vivaient bien , ils semblaient heureux…ils avaient peu , mais ils savaient partager . Quand on voit tout ça , on prend conscience qu’on va droit dans le mur , on se rend compte qu’on n’y peut rien , mais on n’ose pas imaginer quelle en sera l’issue et le prix à payer. Parce qu’à trop tirer sur la corde … Elle finit par casser. On sait être compétitifs , vouloir plus , plus vite , toujours et encore. On n’a pas encore trouvé le moyen d’éradiquer toute la misère du monde , mais ça c’est pas une priorité. Un jour , comme Icare on se brûlera les ailes , on le sait tous, et pourtant on est impuissants…ça fait vraiment peur ! Mais je suis heureuse de ne pas être la seule à me poser des questions. Et peut être nos inquiétudes , qui se rencontrent et s’unissent grâce à votre clairvoyance , finiront elles par se transmettre , de l’un à l’autre, et feront boule de neige…Ça laisse au moins une note d’espoir, ou d’utopie …

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  9. linlin

    Sacré reportage instructif car je n’avais jamais entendu parlé de ces fameux sables bitumineux! C’est horrible toutes ces conditions et meme si ce sont leur choix et le salaire qui va avec , n’empeche qu’il faut très certainement etre plus que courageux et avoir un sacré mental pour résister à tout cet environnement

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    • Au XIX éme et début du XXéme siécle , y avait aussi des Mineurs peu payés et qui mourraient de la Silicose ou écrasés dans des affaissements de boyaux . C’était avant l’exploitation du Pétrole . Les Mineurs , aussi , avaient un sacré mental et en plus ils étaient peu payés . Vivement le Tout Electrique ! (, pour les produits de beauté :on reviendra à l’eau de source …. ou aux applications d’argile …..) Bon …pour le Tout Electrique faudra des panneaux solaires , des Eoliennes et…… des Centrales Nucléaires …ou bien des Millions de Pédaleurs sur Dynamo d’appartement ! Excellent pour la musculation , ça …;)

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  10. En tous cas tu comprends maintenant pourquoi quand tu nous avais annoncé que tu déménageais à ATPN il y a quelques années nous avions pu montrer un certain manque d’enthousiasme, voir peut-être même fait le museau comme on dit… J’avais lu à l’époque des articles vraiment édifiants sur toute cette histoire de sable bitumeux non loin de ta ville et j’avoue que j’étais étonnée de ne pas te savoir révoltée par tout ça…
    Je suis heureuse en tous cas que tu ne sois pas revenue ce drôle de voyage touristique en croyant à la propagande honteusement positive des “dirigeants” … Je ne comprends pas que certains continue à nier l’évidence… Et ce que tu as vu tu l’as vu.
    Merci pour avoir fait un compte rendu sincère et informé de ton voyage là-bas…

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    • Quand j’ai déménagé ici, je savais ce qui se passait là-haut et j’étais aussi horrifiée que toi, mais je ne vois pas en quoi ça aurait dû influencer ma décision de partir ou pas. C’est comme si tu ne déménageais pas à Dijon à cause de l’exploitation de gaz de schiste qui existe à Toulon (l’Alberta est de la taille de la France, ne l’oublie pas). Et quand je vivais en Ontario, je bouffais autant de pétrole que j’en consomme en Alberta. Je n’ai jamais cru à la propagande (je ne croirai jamais ce que peuvent me dire les compagnies pétrolières) mais j’avais besoin de voir par moi-même à quoi tout ça ressemble, parce que c’est difficile de se faire une idée avec des photos dans des magasines.

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  11. Bin voilà, tout est dit. TU as tout dit, veux-je dire. Mais où veux-je en venir ? Hé bien, c’est tout simple : il ne suffit pas d’en avoir entendu parler, ou d’avoir lu mille articles sur le sujet, fussent-ils très sérieux.
    Rien ne remplace un bon petit déplacement pour se faire sa propre idée. Tu as VU, et ton ressenti est unique, il est très personnel.
    C’est pourquoi j’aime aussi voir certains endroits (beaux ou pas), pour me faire ma propre idée, mais aussi pour ressentir le lieu, c’est quelque chose de très intime qui est très difficile à expliquer, et qui n’apporte pas forcément un plus au débat.
    Je me délecte avec tes articles sur ce sujet, et je confirme que les photos des vitres dégueu sous la pluie ajoutent encore à l’ambiance, c’est très réussi !

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Merci pour vos commentaires que j'adore :)