c'est pas moi je l'jure!

l’écolier soldat

Le général m’a donné un cadeau l’autre jour. Il m’a dit que ça ne lui avait rien coûté et qu’il en avait plein des comme ça!

Il ne faisait pas partie du groupe des “vieux” qui ont organisé une mutinerie, le général. C’est un vieux mais il est nouveau dans le groupe, donc il n’est au courant de rien. Je me demande ce qu’il en penserait.

Il s’est battu en Yougoslavie, et il y a perdu l’ouïe dans une oreille. Il a aussi témoigné à La Haye de crimes contre l’humanité. Il me raconte toujours des histoires phénoménales!

L’autre jour, j’ai parlé avec mes étudiants du fait que “l’envie d’apprendre” est rarement innée. On apprend à avoir envie d’apprendre grâce aux gens qui nous entourent pendant notre enfance, notre famille, nos professeurs, nos amis. Je sais que j’ai eu énormément de chance d’avoir des parents et des grands parents hyper éduqués et qui n’ont jamais arrêté d’apprendre –mes grands-parents paternels sont allés suivre des cours à la Sorbonne pendant des dizaines d’année pendant leur retraite. Mais je sais que pour la majorité de mes étudiants, acquérir des connaissances n’est pas quelque chose qui les intéresse. L’éducation en soi n’est pas attrayante, pas intéressante, pas utile. Mais je leur ai promis que plus ils allaient apprendre, même si au début c’était vraiment douloureux et difficile, et plus ils auraient envie de continuer à apprendre. Parce que plus on sait de choses et plus on se rend compte des milliards d’autres choses qu’il nous reste encore à apprendre!

Je leur ai aussi parlé du général. Il est à la retraite et pourrait facilement être sur une plage de Floride en train de bronzer et de boire une piña colada! Mais il a choisi de continuer à enseigner et de continuer à apprendre. Comme il l’a fait pendant sa vie entière, il apprend la langue des gens avec lesquels il est en contact: quand il était en Afghanistan, il a appris le Dari. Au fil des années et de ses séjours à l’étranger, il a appris le russe, le polonais, l’allemand, le français, le croate, etc., et maintenant il apprend l’iroquois, parce qu’il travaille beaucoup avec mes étudiants, qui viennent tous des Premières Nations (ils ne parlent pas tous iroquois, bien sûr, mais c’est un début).

Pourquoi continue-t-il à apprendre des trucs alors que personne ne le lui demande? Pourquoi pense-t-il que c’est utile de parler la langue des gens avec qui il travaille? Pourquoi passe-t-il des heures chaque jours à aider mes étudiants alors qu’il pourrait se la couler douce en Floride et qu’il le mériterait bien, en plus? J’ai posé ces questions à mes étudiants.

Je ne lui ai pas raconté, au général, que j’avais parlé de lui à mes étudiants. Mais lui, hier, il m’a raconté que pour la première fois de sa vie, après avoir travaillée une heure avec l’un de mes étudiants, l’étudiant lui avait dit au-revoir “and thank you for your wisdom, sir!

Y’en a au moins un qui m’écoutait 😉

31 comments

  1. Beau volume!
    Je prends plaisir à lire tes explorations et découvertes ontariennes mais aussi de la culture et de la bureaucratie militaire (et du bilinguisme canadien qui, on s’entend, est trop souvent dysfonctionnel). Il y a quelque chose dans ton article que j’aimerais commenter ici, à propos de l’appétit d’apprendre.
    Je crois que l’humain par nature est curieux et donc que l’envie d’apprendre est fondamentalement innée. Bon, je n’ai pas fait d’études sur le sujet et ce n’est qu’une impression forgée par presque cinquante ans de vie et trente ans d’enseignement à divers niveaux.
    Je pense que plutôt que le désir d’apprendre, ce qui est en question ici c’est le désir d’apprendre quoi? Par quels moyens? Dans quel but? Qu’est-ce que cet apprentissage valorise (comme modèle social et individuel)? Et finalement, pour emprunter à une de mes amies d’enfance devenue professionnelle de l’orientation, en quoi ce modèle d’apprentissage contribue-t-il au développement d’un «concept de soi» positivement valorisé?
    Ce qui n’est pas inné, c’est le désir de se conformer à un modèle particulier d’apprentissage qui, dans le cas de tes étudiants autochtones principalement Kanién’keha:ka (ou d’autres communautés Haudenosaunee, «Iroquois» étant un terme colonial à forte connotation péjorative principalement pour les francophones) les force à un renoncement culturel constant afin de se conformer à un modèle scolaire non seulement étranger mais aussi ancré dans une histoire de violence coloniale qui continue à se manifester. Le désir d’apprendre peut être inné; celui d’apprendre dans un modèle forgé par la révolution industrielle et reposant principalement par la transmission écrite et l’enseignement par des professionnels formés selon des critères définis académiquement est fondamentalement étranger au mode d’apprentissage autochtone. Celui-ci est expérientiel, holistique, ancré localement, oral et basé sur l’expérience d’Anciens qui acquièrent leur capacité de transmettre leurs connaissance par la reconnaissance de la communauté.
    L’expérience du langage est aussi différente, et je ne parle pas ici de la structure linguistique de l’anglais ou du français par rapport aux langues autochtones, ni même du mode écrit / oral versus la primordialité de l’oral. Les langues imposées par les gouvernements coloniaux représentent en elles-mêmes la violence coloniale. Les multiples duplicités langagières employées par celles et ceux qui ont utilisé la langue anglaise ou française comme outil de domination ont créé une opposition à ces langues, même si pour plusieurs de tes étudiant.e.s la langue coloniale est peut-être la seule qu’ils ou elles maîtrisent pleinement. Mon conjoint Nakóta me rappelle souvent à quel point l’anglais peut servir à cacher ou à mentir autant qu’à communiquer par l’usage de tournures de phrases qui servent délibérément à tromper, ce qui n’est tout simplement pas permis dans l’usage des langues autochtones.
    Tu mentionnes dans ton texte être consciente de ton propre privilège en ce qui concerne l’apprentissage et il est vrai que le fait de grandir dans une famille où l’éducation (dans le modèle Euro-occidental) est valorisé tend à se perpétuer de génération en génération. C’est un privilège de classe mais aussi de culture. Imagine que l’on te force tout d’un coup à maîtriser les codes non seulement d’une langue mais aussi d’un cadre culturel entièrement différent, ou encore qu’on a forcé tes parents, leurs parents, et leurs parents avant eux d’oublier qui ils sont pour entrer dans un cadre culturel étranger mais imposé (et dans lequel le modèle d’éducation valorisé est à la fois différent et oppressif) tout en leur rappelant dans la vie courante qu’ils n’ont pas droit aux mêmes privilèges sociaux, économiques et politiques, malgré leur éducation, parce que la couleur de leur peau ne correspond pas aux définitions acceptables du groupe dominant. C’est difficile pour nous, étant du groupe dominant, d’imaginer ce que cela peut représenter, parce que, peu importe où nous allons sur la planète, même si c’est l’endroit où une autre culture dominante, la culture que notre peau représente demeure valorisée et nous donne un privilège inné.
    Pour revenir à tes étudiant.e.s, si je me réfère à ce que je connais de près (et comme tu le sais, ma belle-famille est entièrement autochtone), il y a de grosses chances que malgré la diversité probable de leurs expériences individuelles du système éducatif dans le passé, ils et elles ont eu à faire face à de multiples reprises à des enseignant.e.s qui leur ont fait des remarques du genre «ta vie ne vaudra jamais autant que celle d’une personne blanche» et qu’à la longue on leur a martelé des stéréotypes les amenant à penser «à quoi bon faire des efforts» parce que ces efforts n’étaient jamais récompensés ou même qu’ils ou elles ont été puni.e.s pour avoir essayé, accusé.e.s injustement de plagiat ou autre.
    Si ta carrière t’amène à collaborer régulièrement avec des Autochtones, je ne peux que t’encourager à tenter de tisser des liens dans leur communautés, de les connaître de l’intérieur et de te partager ce que leur expérience a été. Tu n’en seras qu’enrichie à la longue.
    Je sais que ton coeur est solidement à la bonne place et que c’est un environnement tellement différent des modèles universitaires auxquels tu étais habituée que tu te retrouves essentiellement dans un monde où tu cherches toi-même certains de tes repères. Ce que je t’écris n’est pas une critique; j’espère tout simplement que cela peut contribuer à ta réflexion. Si tu le désires, je pourrais te partager quelques idées de lectures qui m’ont aidé dans mon propre cheminement.

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    • Merci pour ton commentaire. Comme je l’explique dans mon texte, plus on apprend plus on se rend compte de tout ce qu’on ne sait pas, et j’en suis là, donc je ne prends rien du tout comme une critique. Je ne savais pas que le terme Iroquois était péjoratif, personne ici ne me l’a dit. L’ami qui est venu dîner chez moi hier avec sa femme est Métis, et il est le directeur du programme que suivent mes étudiants. On est rapidement devenus amis, et je lui pose souvent des questions à propos de ce qui est approprié ou pas. Tu peux m’envoyer une liste de lecture, volontiers, même si je dois d’abord d’urgence lire “Redefining roles: the professional, faculty, and graduate consultant’s guide to writing centre” (qui m’enthousiasme énormément comme tu peux l’imaginer). Comme tu le dis, je ne comprends rien à rien ici, et ça inclue la façon de travailler avec mes employés qui sont tellement différents de mes précédents employés. Donc je valse à plusieurs niveaux d’incompréhension et de chaos. Mais je reparlerai de tout ça avec mes étudiants avec les perspectives que tu m’expliques, ça sera intéressant, merci.

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    • mmechapeau

      Je tiens aussi à remercier Doérus pour son commentaire.
      Un moment donné, en Belgique francophone, les pédagogues aimaient parler d’appétence.
      Si les élèves n’aimaient pas apprendre, c’était aux les profs à leur donner l’envie ( l’appétence ) d’apprendre même si pour une raison X ou Y la façon d’enseigner préconisée ne leur convenait pas.
      Doérus nous explique très bien le problème.

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    • Comme Doiréus (je viens seulement de voir qu’il y a un i), j’ai tout de suite « tilté » en lisant ce billet en pensant que tous les jeunes enfants posent sans cesse des questions et semblent animés d’une insatiable curiosité. Mais ensuite, il y a trois évolutions possibles (en schématisant). Certaines et certains restent curieux de tout ou presque, mais c’est très rare. D’autres (c’est mon cas) cultivent une curiosité et une soif d’apprendre, mais seulement dans un domaine spécialisé ou dans un champ restreint de connaissances. D’autres, enfin, semblent n’avoir aucune passion et perdent une grande partie de leur envie d’apprendre pour se concentrer sur le quotidien, leurs proches, les stars, les voisins, leurs enfants etc. et semblent très heureuses et heureux ainsi. Mais quel est le critère qui détermine ces évolutions ? Pour moi c’est un grand mystère. Mais en tout cas ce n’est pas spécifique à une classe sociale ou une origine, même si certaines corrélations peuvent sans doute être observées.

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      • C’est une pheaulxte de phrappe! C’est bien Doréus. Mon grand-père paternel (Dieu ait son âme) dont c’était le prénom, m’aurait déshérité…
        J’en profite toutefois pour revenir sur un élément que je n’ai pas vraiment clarifié. Ce que j’entendais était vraiment dans le sens que tu abordes: les intérêts d’adultes peuvent être fort différents et ne pas se conformer au modèle d’«apprentissage» valorisé par le milieu scolaire, mais une curiosité constante pour la vie des stars ou le désir d’améliorer sa technique de maquillage (pour prendre des domaines pour lesquels je n’ai aucun intérêt) est tout de même un désir d’apprendre, même si ce n’est pas via les textes classiques de Voltaire.

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        • C’est vrai. Je n’y avais jamais pensé en ces termes. Les gens qui regardent toutes les compétitions d’un sport quelconque ou suivent la vie des stars (un canadien qui utilise ce terme anglais dans une phrase française !) assimilent des connaissances en permanence.

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  2. Oh qu’il est beau ce livre écrit en vieux français !
    Je confirme que l’envie d’apprendre n’est pas innée. Je me sentais très bien dans mon inculture jusqu’au jour où j’ai eu envie d’en savoir un peu plus. Depuis, je réalise qu’apprendre est devenu un besoin que je satisfais avec plaisir.

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  3. mmechapeau

    Pouvoir parler de « l’envie d’apprendre » à de futurs soldats en disposant d’un général retraité comme exemple, c’est vraiment avoir de la chance.
    Vos étudiants ont-ils aussi apporté leur pierre à l’édifice? Quand on vient des Premières Nations, on doit connaitre plein de choses que les autres ne connaissent pas.

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    • Bleck

      Merci Madame Chapeau pour ce lien qui m’a remémoré le nom de cette chanteuse qui, si je n’ai jamais accroché, possédait un timbre de, voix magnifique (à l’époque je lui préférais un françois Béranger, gilles Servat ou un maxime Leforestier, première mouture)

      Bleck

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  4. catandfivecats

    c’est chouette que cet étudiant se soit rendu compte que ton général est un grand monsieur! apprendre toute sa vie est un privilège, car peu de gens le font..(surtout les langues🙄)
    depuis très longtemps, je me suis prise de passion pour l’histoire, avec un grand H ou un petit, peu importe, ainsi que tout ce qui a trait au cosmos. Je lis beaucoup sur ces sujets (et j’apprends beaucoup😉), j’ai l’impression ainsi d’être vraiment au coeur de la vie (Vie?), alors que l’histoire au lycée n’était pas ma tasse de thé (question d’enseignement?).
    bon dimanche, bises et des câlins à la Miss
    PS c’est sympa d’avoir trouvé des amis et une gentille voisine😊

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  5. Isabelle

    Précieux ce vieux livre ! Altruiste et captivant ce général !
    Quand j’assiste à une discussion dont je ne maîtrise pas le sujet, je me documente le lendemain, je mourrai moins bête !

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  6. la zia

    “La vieille, en mourant, elle apprenait encore”. Phrase de la sagesse du Cantal que j’ai adoptée il y a longtemps… Pépé lisait Voltaire et Montaigne dans les éditions de la Pléiade et bien d’autres….

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  7. Magali

    Mon message s’est échappé, comme celui d’hier.
    Une gentille voisine, une grande table qui a trouvé son office, un gentil génial général, tu galopes !
    Ce 92ème tome d’une édition plus que centenaire a-t-il était choisi ou pris au hasard dans sa bibliothèque par le généreux général ?
    Merci à Mme chapeau pour son rappel de l’enlouissante Colette Magny.
    On est effectivement plus dans le domaine de la dignité et du respect.
    Mon frère et moi sommes les 2 seuls « intellectuels » de la famille, des bizarres. Lui apprend sans cesse pour le plaisir supérieur du savoir, moi par curiosité insatiable.
    Tes étudiants doivent identifier leur motivation, une motivation qui valorise leurs origines et leur identité.
    Parler de soi, comme celui qui a pu le faire avec le général, peut être un déclencheur.

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  8. Bibigeneve

    Pour toucher le cœur d’une personne, il faut lui parler la langue du cœur, celle de son origine, sa langue maternelle… Le général l’a compris et c’est merveilleux l’effort qu’il fait à chaque fois pour s’adapter ! J’en suis incapable, fâchée avec les langues, même si j’ai fait mes études en Suisse, dont 8 ans d’allemand.

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    • Ca serait aussi pas mal si mon compte en banque était riche, mais on ne peut pas tout avoir paraît-il 😉 (et oui, j’ai de la chance d’avoir de merveilleuses et merveilleux lectrices et lecteurs et commentateurs et commentatrices!!!)

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  9. Pingback: l’orage et la foudre | c'est pas moi je l'jure!

  10. NATHALIE

    Merciiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii à toutes et tous VRAIMENT. J’ai adoré lire ce que vous avez écrit. Ca va être une journée formidable grâce à vous ! J’apprécie beaucoup d’apprendre de cette façon. L’école a été une angoisse permanente pour moi, j’ai eu beaucoup de blocages pour apprendre. Je continue à essayer de débloquer ces blocages (pas très riche comme syntaxe) et c’est valorisant. Bises pour toi, caresses à Money Penny. Nathalie de Nancy

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Merci pour vos commentaires que j'adore :)

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