c'est pas moi je l'jure!

né en 17 à leidenstadt

J’ai écouté cette chanson de Jean-Jacques Goldman des centaines de fois dans ma vie, et c’est encore aujourd’hui l’une de mes chansons préférées. Je me suis souvent posé la question, en l’écoutant, de ce que seraient mes réactions dans ces moments clés où il faut avoir le courage de ses convictions malgré les conséquences parfois difficiles que ça peut engendrer.

Et mardi, malheureusement, j’ai eu l’opportunité de faire le bon choix… et je ne l’ai pas fait!

A partir de cette semaine, les ophtalmos ont de nouveau le droit de faire des examens non urgents, et comme ça faisait un moment que j’aurais dû avoir ces examens (pour les vieux), je suis allée les faire mardi matin. Dans la salle d’attente, je regardais l’écran de la télé accrochée sur le mur, où Justin Trudeau parlait des manifestations aux Etats Unis.

Donc quand l’ophtalmo m’a appelée et m’a demandé comment ça allait, j’ai répondu “oh, ça va, merci, mais il faut que j’arrête de regarder les nouvelles, c’est trop déprimant!”

Et c’est là que le type m’a répondu “oui c’est terrible ces manifestations honteuses où tout le monde détruit tous ces magasins et brûle tout sur leur passage, je suis tout à fait pour les manifestations pacifistes, mais là je suis vraiment contre cette violence gratuite et cette destruction inutile.”

Pendant trois ou quatre secondes, dans ma tête, je me suis demandée, “est-ce que je réponds que c’est vrai que la destruction de quelques magasins est bien pire que le meurtre de dizaines de noirs, ou est-ce que laisse tomber parce que je n’ai pas envie de m’énerver avec un type dont je me fiche complètement?”

Et j’ai répondu, à ma grande honte, “on vit dans un monde vraiment dingue en ce moment!”

Ouah, j’ai eu autant de courage que Trudeau, quand on lui a demandé mardi matin, justement, ce qu’il pensait du président américain! (Même si vous ne comprenez pas l’anglais, regardez les premières 21 secondes de sa réponse.) (Je plaisante. En réalité, je trouve Trudeau très intelligent d’éviter d’envenimer la situation, parce que l’autre con aurait pu envoyer son armée détruire le Canada s’il avait été ne serait-ce qu’un chouïa offensé.)

Depuis, je regrette cruellement mon manque de courage. Je me suis vraiment déçue moi-même. Comme le disait si bien Jean-Jacques Goldman,

On saura jamais c’qu’on a vraiment dans nos ventres
Caché derrière nos apparences
L’âme d’un brave ou d’un complice ou d’un bourreau?
Ou le pire ou le plus beau?
Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d’un troupeau
S’il fallait plus que des mots?

Quelle honte!

Si je peux tirer une leçon de cette malheureuse histoire, c’est qu’il faut se préparer à l’avance à répondre à ce genre de commentaire, et pas seulement “se dire” qu’on saura y répondre correctement au bon moment. Si j’avais des enfants, je discuterais d’idées de phrases qu’ils pourraient utiliser dans tels ou tels cas (par exemple si un de leurs camarades se moque d’un enfant en chaise roulante, ou d’un enfant qui a la peau plus foncée que les autres, ou d’une personne âgée dont la main tremble, ou d’une personne habillée de façon inhabituelle, etc.). Je discuterais de situations précises, et je ferais une liste de phrases exactes à dire dans ces cas-là. Parce que sur le moment, comme ça, ce n’est pas toujours facile de trouver les mots justes et d’avoir le courage de les dire.

Peut-être qu’un jour les handicapés se rebelleront aussi et casseront la baraque à leur tour. Et ce jour-là, j’espère bien que vous la casserez avec moi!

30 comments

  1. Lucette

    Ce que j’en pense, c’est que tu t’es économisée une discussion inutile et frustrante certainement. Je n’ai aucun doute sur ton courage d’assumer tes engagements/choix si nous vivions une période de guerre.
    Et c’est vrai que cette chanson a été aussi un questionnement personnel sur le véritable engagement avec les implications que cela entraîne.
    J’espère au moins, que c’est un bon ophtalmologue 😉

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  2. Blanche

    Comme le dit Lucette, il m’arrive parfois d’essayer d’argumenter, mais souvent en vain. J’admire les gens qui lors d’interview ont la répartie juste, le jeu de mot qui va bien. Devant quelqu’un comme cet ophtalmo, je pense “il raconte des conneries grosses comme lui, mais à quoi bon essayer de le convaincre”. Imagine, essayer de convaincre “l’agent orange” qu’il va dans le mur avec ses conneries !!

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  3. La zia

    Le journaliste par sa question avait tendu une perche à Trudeau dont la réponse est hautement diplomatique mais reprend aussi « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Résister durant la 2de guerre consistait à se taire pour agir dans l’ombre car n’importe quel gugusse était capable de vous dénoncer. C’est une fois qu’il était mort que le fils de Gino Bartali (coureur cycliste italien célèbre) et ceux qu’il avait sauvés ont révélé ses actes de résistance contre le fascisme. Donc ton ophtalmo de toutes façons ne fait partie des gens de l’ombre, alors, comme on dit très vulgairement en France, « laisse pisser » ou du genre Michel Audiard « les cons ça ose tout, c’est d’ailleurs à cela qu’on les reconnaît «  après ce long comment franchouillard genre bistrot enfin réouvert en terrasse alors que depuis il n’arrête pas de pleuvoir après un printemps très sec et… confiné… j’espère que oui, c’est un bon ophtalmo car même ça c’est peut-être pas sûr 😐

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    • Oui, au début j’ai pensé que Trudeau était vraiment faible, mais finalement je vois qu’il avait bien fait de ne rien dire, et qu’en fait, ne rien dire pendant 21 secondes ça voulait tout dire 🙂

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  4. non, je ne pense pas que tu doives te sentir coupable de quoi que se soit, il valait nettement mieux te taire, car tu ne sais pas où t’aurait entrainé un “débat” avec ton ophtalmo..parfois il vaut mieux tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler, et c’est lui qui aurait du le faire.
    Quand j’ai vu la vidéo, j’ai été horrifiée, et j’ai de suite envoyé ma contribution à Amnesty international, c’est tout ce que je pouvais faire sur le moment.
    En France aussi, nous avons nos moutons noirs..
    bon vendredi, des bises

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  5. Bleck

    A ta place et dans ce cas précis, je n’aurais pas eu honte. (mais nous ne sommes jamais à la place de “l’autre”)
    Je ne peux pas t’affirmer que le jour où les handicapés se rebelleront j’en serai, j’aimerais l’écrire mais c’est tellement facile à déclarer et tellement facile de l’oublier dans les heures qui suivent.

    Bleck

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  6. Matoo

    C’est également une de mes préférées de JJ Goldman, et on ne saura jamais vraiment, c’est certain. 😀 Trudeau est habile et surtout politicien dans sa réponse. Il a raison de se recentrer sur le Canada dans le fond, pour des raisons diplomatiques mais aussi de bon sens et d’humilité quelque part. Et quel génie dans la pause !!!! 😀

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  7. Ça m’arrive très souvent de ne pas oser dire ce que je pense. Un traumatisme qui date de mon service militaire au cours duquel j’ai accepté de faire tous les jours des choses en opposition avec ma conscience, juste par peur d’aller en prison, rien de moins. La dernière période où je n’ai pas osé exprimer pleinement mon opinion a été celle du confinement à la française qui a surtout confiné à la xxxxxx de part le caractère nivelant des règles imposées à tous bien que nécessaires seulement à certains. Même en écrivant ces lignes, je ne suis pas serein, mais il faut faire l’effort de temps en temps de dépasser nos peurs. Mais il faut surtout faire attention de donner nos avis sans agressivité ni condescendance, car alors c’est complètement contreproductif et ne peut que renforcer la tendance de chacun à camper sur ses positions. Donc oui, préparer à l’avance sa réponse à certaines questions ou situations est une bonne idée.

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    • Donner mon opinion sans réfléchir m’a causé plein de sérieux problèmes dans ma vie et surtout au boulot! Donc je comprends un peu ta peur. Et c’est très difficile de savoir quand il vaut mieux se taire et quand il faudrait vraiment avoir du courage! Parce que tout laisser passer, c’est être complice, finalement…

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  8. MAG

    Je ne pense pas que tu aies mal fait et que tu doives ressentir ne serait-ce qu’une once de culpabilité. Ton ophtalmo est un con mais tu avais grand besoin de lui. Dans ce cas j’aurai fait également une pirouette.
    Je réponds normalement que les manifestants sont toujours pacifistes sinon leur action n’aurait aucun sens et qu’il ne faut pas confondre manifestants et casseurs.
    Il en va de même en ce moment où tout le monde tremble pour ce satané virus. Je me moque des réactions hostiles que je récolte.
    Je ne suis pas un exemple juste descendante d’huguenots calvinistes qui ont trop souvent été dénoncés pendant les guerres de religion et massacrés quand ils n’ont pas finis aux galères (galériens sur les bateaux de la flotte royale). Les dénonciations sont inconcevables dans ma communauté ; de nombreux juifs et enfants ont pu y être accueillis et protégés durant la guerre.
    Jean-Claude Goldman est le fils de juifs polonais émigrés en France pendant la guerre. avait un frère, Pierre, intellectuel d’extrême gauche très activiste et idéaliste. Il a braqué des banques et a fait de longues années de prison. Il a beaucoup écrit et a été assassiné en pleine rue peu de temps après sa sortie. Je m’en souviens bien ; on n’a jamais trouvé le ou les coupables. Je doute qu’on les ai cherchés, ses idées étaient si dérangeantes pour les petits Français.
    Jean-Claude Goldman peut donc chanter et penser avec émotion et intelligence sur la grandeur ou la misère humaine qui se révèlent dans les situations extrêmes.
    Les handicapés sont pris dans une guerre perpétuelle…

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  9. Geneviève

    Je suis avec toi sur cette hésitation. Quand j’étais petite, je me persuadait que j’aurais été Résistante… Maintenant je sais que ce n’est pas si simple, et que j’aurais eu beaucoup de mal à ne pas collaborer. 😒
    Cela dit, don’t beat yourself up, comme disent les Chinois. Il n’y a pas que la résistance active et publique. Ce n’est pas parce que à ce type-là tu n’as pas dit ce que tu pensais que tu n’en penses pas moins et que tu es une vilaine blanche qui se satisfait du statu quo. Au contraire… Tu continues à t’informer, et à débattre avec tes amis ou collègues, et à éduquer tes lecteurs, tu mènes ces combats… mais juste pas avec ton dentiste. (Ce qui est bien compréhensible d’ailleurs, partir un débat avec un crétin juste avant de devoir ouvrir la bouche pour qu’il te fouille dedans et que tu ne puisses plus rétorquer, ç’aurait été pire pour tes cauchemars…)
    Moi j’ai commencé à poster des trucs sur FB pour que mon fils réalise la gravité de la situation et arrête de dire des énormités sur la police “qui ne fait que répliquer à la provocation”… 🤦 Mais ton idée est bonne, de se constituer un petit trésor de phrases à sortir si on se trouve dans ce genre de situation, et qu’on se sent suffisamment à l’aise pour y plonger. Je vais y réfléchir pour mes ados.
    Love.

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  10. Ça m’est arrivé souvent, en librairie notamment où dans certains cas je n’étais absolument pas libre de ma parole (car la doxa était “Le client est roi”). Dans ces cas-là la seule chose qui m’était permise était de ne pas répondre positivement à l’assentiment implicitement quêté – par exemple par un client raciste qui exprimait sa détestation -.
    Depuis, dès lors que je suis dans ma vie personnelle ou travaillant pour un employeur sur le soutien duquel je sais pouvoir compter, sans me lancer dans un débat ni de la colère, je dis simplement que je fais partie des gens qui pensent plutôt que [et là j’exprime tranquillement ma pensée, d’un ton qui laisse entendre que l’autre a le droit de n’être pas d’accord, mais assez ferme pour que l’autre comprenne que c’est inutile de vouloir me contaminer avec ses pensées moisies].
    C’est au moins efficace pour qu’ils ne se disent pas qu’ils sont majoritaires. Et généralement l’autre n’insiste pas. Mais ne se fâche pas non plus. Deux fois sur trois il essaie même de se justifier, en se prenant les pieds dans le tapis.
    Il n’y a rien à préparer, il ne s’agit pas de convaincre, il ne s’agit pas de jouer à qui a la répartie qui clouera le bec à l’autre. Il s’agit simplement de dire qu’une autre opinion existe et qu’elle est d’un calme olympien, qu’elle doute si peu de ce qu’elle représente de belle humanité qu’elle n’essaie même pas de faire des disciples.

    Les jours d’avoir beaucoup de temps disponible, je tente parfois la stratégie journaliste ou psy :
    – Mais qu’est-ce qui vous fait penser ça ? (demandé d’un ton affable, comme pour une interviewe sur une chaîne favorable à ses idées)
    Ça peut donner de très bons résultats : on oblige à réfléchir et ce faisant on instille du doute.

    Après, voilà, oser dire que l’on n’est pas du même avis dans tous ces cas demande de l’énergie, au moins celle de retenir la colère, et parfois du courage parce qu’il peut y avoir un risque professionnel derrière (le type a du pouvoir, il peut aller se plaindre, attirer des ennuis). Mais ça peut se tenter, sans forcément trop de dommages et sans qu’on ait besoin d’y repenser après, parce qu’on est resté en accord avec nos pensées.

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    • J’aime l’idée de la stratégie psy, merci 🙂 Quant à la situation professionnelle, ça je connais très bien pour m’être retrouvée dans le pétrin à cause de mes opinions trop clairement exprimées un grand nombre de fois!

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  11. Oui, après coup, c’est facile de se dire ce qu’on aurait fait à la place des autres… Mais dans la vraie vie, je crois que je fais partie d’un lâche ventre mou.
    (Juste, petite faute de frappe dans le titre de ton article: un -n- en trop à la ville des souffrances.)

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  12. Pourquoi perdre du temps avec des cons ? Ta réponse est neutre, il peut l’interpréter comme il veut. J’ai des tantes avec qui je ne peux pas parler de ce qui se passe dans le monde car leurs principales sources sont facebook et BFM TV qui n’ont absolument rien d’informatifs. J’ai essayé d’argumenter mais autant parler à un mur. A présent, je les laisse parler et je me tais. Mais c’est dur !

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  13. D’une part, je comprends ta réaction; il est des moments où l’énergie manque pour faire de “l’éducation”, surtout lorsque l’on doute de son efficacité. Il ne sert à rien de culpabiliser par la suite; reste à saisir les portes ouvertes lorsqu’on le peut. Cela m’est arrivé ce matin lors d’une réunion avec des gens que je respecte, mais dont les options concernant les minorités linguistiques et raciales sont souvent… disons… paradoxales et relèvent du “racisme ordinaire”, celui dont se réclament ceux qui disent “ne pas voir la couleur” ou bien “ne pas être racistes parce que leur meilleur.e ami.e est…”. La difficulté dans ces cas est d’arriver à réagir d’une manière qui ne paraît pas ressortir seulement de l’émotion mais qui fait appel à l’émotion et à la raison. Pas toujours facile. Il est aussi plus difficile de défendre les autres que soi-même. En tant qu’homme blanc qui ne vit pas avec un handicap visible, je n’ai pas souvent eu à me défendre d’être qui je suis. Depuis que je vis avec mon conjoint autochtone, et que je vois la vie en partie à travers ses yeux, c’est autre chose. Je vois comment il réagit lorsque les gens le regardent d’une certaine manière (et qu’ils n’oseraient jamais faire devant moi), ou encore lorsque passent des voiture de police ou des agents… qui ralentissent presque inévitablement à notre passage à cause de lui. Vivre avec la peur d’être seul en public, c’est quelque chose que je n’ai jamais eu à vivre personnellement avant lui. Et il m’arrive aussi d’oublier d’intervenir.
    Récemment, chez un marchand que nous fréquentons assez souvent, un vendeur a utilisé devant lui l’expression “higher up on the totem pole”, une expression malheureusement commune en anglais et profondément raciste parce qu’elle réfère à une société hiérarchique où les classes sociales existent en utilisant un symbole tiré d’une société à l’organisation entièrement différente… et ce symbole fait plutôt référence aux relations d’ascendance familiale. J’ai eu la chance, lors d’une visite subséquente, d’éduquer l’employé en question (mon conjoint perd parfois patience et me demande d’être sa voix). Nous avons eu une bonne conversation et l’employé nous en a été reconnaissant. Il ne s’agit pas toujours de créer un conflit… mais l’intervention n’est pas facile.
    Et chaque fois que je veux baisser les bras, je me rappelle qu’il y en a (tous les gens à la peau autre que blanche vivant dans une société à dominance blanche) pour qui ce fardeau les poursuit tout le temps. Peut-être qu’en étant des alliés plus constants, nous pouvons contribuer, à la longue, à alléger un peu ce fardeau. Il ne s’agit pas de culpabiliser, mais de faire les efforts que l’on peut.

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      • Ça oui! Et particulièrement dans une province comme la nôtre. Ce que j’essayais surtout de faire comprendre à mes interlocuteurs était que malheureusement, la couleur de la peau peut entraîner des conséquences mortelles, alors que le fait de parler français (ou d’être homosexuel et célibataire, par exemple) n’a pas cette conséquence à priori. En ce qui concerne l’homosexualité, soyons clair: cela peut effectivement avoir des conséquences dévastatrices, même dans des sociétés soit-disant tolérantes comme la nôtre. Il ne faut pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment… ce qui pousse à une certaine méfiance sociale.

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  14. J’adore aussi cette chanson, et je me suis aussi souvent posé la question pour moi. Malheureusement, je pense que je ferais plutôt partie du camp des trouillardes…
    C’est vrai que ce n’est pas facile de trouver les bons mots sur le coup, l’idée de préparer des phrases ou des réponses est bonne, je pense…

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