c'est pas moi je l'jure!

a different kind of human

En 2002, j’ai commencé mon doctorat dans une université prestigieuse mais dans un programme minuscule. En fait, j’avais atterri là-bas complètement par chance: un an auparavant, je ne savais pas quoi faire de ma vie, et j’avais rencontré une femme charmante pendant une conférence. Elle m’avait dit “tu devrais aller faire un doctorat dans ce champ de maïs! Ils ont un programme de linguistique appliquée génial!” et elle m’avait envoyé plein de papiers d’information. Dans ma vie, j’ai dû faire plus de recherche à propos du papier toilette que j’achète qu’à propos de cette université et ce programme! Et hop, ni une ni deux, j’ai envoyé mon dossier… et j’ai été acceptée!

Rétrospectivement, j’ai eu une chance absolument incroyable! Non seulement l’université était prestigieuse, mais le petit programme en question, créé et dirigé par un couple extraordinaires, était réputé mondialement. Et ce n’est que des années et des années plus tard que je m’en suis rendue compte!

Ce couple, M&T, était marié, mais de ça non plus je ne me suis pas rendue compte tout de suite. M était experte mondiale dans un domaine qui s’appelle World Englishes, et elle avait fait son doctorat sous la tutelle du très célèbre Braj Kachru, qui avait lui-même “créé” ce domaine d’expertise. J’ai adoré les cours de M dans ce domaine et enseigne aujourd’hui à mes étudiants les bases du World Englishes–et ils adorent ça eux aussi!

M est devenue ma directrice de thèse. Je lui ai dit que je voulais terminer mon doctorat en quatre ans, ce qui se fait rarement, et que donc elle devait ne jamais me laisser paresser! Elle a dit d’accord et a tenu sa promesse. Elle m’a aussi laissée faire mon projet de recherche comme je voulais et sans me faire chier jusqu’à la dernière minute, où là elle m’a un peu fait chier mais c’était juste pour la forme.

Grande, maigre, et avec les cheveux très courts, elle incarnait pour moi LA femme universitaire accomplie, celle qui a dû choisir entre avoir des enfants et avoir la tenure et devenir experte mondiale. Elle avait un chat, Miss Kitty, et un mari, comme je l’ai appris plus tard, mais sa vie était son job. C’est aussi elle qui m’a dit qu’avoir un boulot qu’on aime est plus important que de vivre dans un endroit chouette, leçon extrêmement importante que je n’ai jamais oubliée!

T était un grand type maigre avec une barbichette, et un peu sourd mais très marrant, très gentil, et hyper intelligent. C’est lui qui avait créé le domaine académique qu’on appelle Second Language Writing avec son étudiant préféré, un type très chouette mais maintenant chef de la clique dont je ne fais pas partie. T, donc, était le grand gourou, l’expert mondial adoré et révéré par tous, et je ne m’en suis même pas rendue compte sur le moment! Pour moi, il était simplement mon prof, et un mec hyper sympa qui m’a toujours bien conseillée et soutenue.

M&T étaient vraiment un couple inhabituel, des gens qui s’étaient donnés corps et âme à leur boulot et à leurs étudiants et qui ont profondément influencé des générations d’experts qui ont, depuis, transmis ces connaissances à des milliers d’étudiants dans le monde entier. Sur le moment, je ne me suis pas rendue compte de leur notoriété, mais grâce aux discussions que j’avais avec d’autres doctorants dans d’autres universités, je savais que M&T étaient beaucoup plus attentionnés et consciencieux et généreux avec nous que beaucoup d’autres profs ailleurs ne l’étaient avec leurs étudiants.

Je les ai revus des années plus tard et de temps en temps à des conférences. T est de plus en plus sourd et il s’est laissé pousser les cheveux, et M est de plus en plus fatiguée et se prépare à prendre sa retraite (et elle s’est aussi laissé pousser les cheveux). Je les aime tous les deux énormément.

Il y a quelques années, quand j’ai demandé la tenure, plusieurs experts “externes” devaient lire mon dossier et écrire des lettres sur leurs impressions de mon travail des six années précédentes. Et dans l’une ces lettres (anonymisées), l’un des experts avait écrit “Dr. CaSo a étudié et travaillé avec des géants!” Je regrette énormément de ne pas m’en être rendue compte plus tôt et de ne pas avoir mieux profité de chaque moment que j’ai pu passer avec ces gens extraordinaires.

Les gens qu’on aime #21: quelqu’un d’unique, original, ou un peu spécial

22 comments

  1. Céline de Bruxelles

    #20: cela commence à devenir plus compliqué de parler d’amis (dont on a pas encore parlé dans ce défi). Mais là tu m’as donné envie de parler de ma prof d’allemand au collège.
    J’ai été acceptée dans une classe trilingue, c’est à dire une classe dans laquelle on apprenait l’anglais et l’allemand en dès la sixième (12 ans, entrée au collège).
    Et c’était une prof d’allemand géniale et investie qui nous a accueilli dans ce groupe.
    Elle a essayé de nous faire apprendre l’allemand par bien des moyens, mais pas seulement apprendre la langue avec ´wo is meine pfeiffe?’ Mais nous faire aimer l’Allemagne et connaître sa culture. C’est plus facile, nous habitions l’Alsace. Alors passer la frontière pour passer une journée au marché de Noël de Freibourg, super! Avec un questionnaire pour nous faire poser des questions aux marchands des échoppes. Des jeux de piste aussi.
    Et puis Noël était la période pour faire un calendrier de l’avent pour apprendre du vocabulaire.
    Nous avons bien sûr eu des correspondants allemands chez qui nous avons passé une semaine.
    Nous avons aussi reçu son émotion lors de l’effondrement du Mur de Berlin, et nous avions débattu des heures.
    Et je crois que le thème le plus important que j’ai travaillé avec elle est la préservation de l’environnement. A la mode allemande, j’ai appris tellement de nos voisins que cela a forgé mon engagement futur. Mes parents étaient mes bases dans ce domaine mais nous avions beaucoup évolué avec cette prof d’allemand.
    Je n’ai pas gardé de contact mais je garde précieusement le souvenir de cette prof tellement engagée . Frau Malcowski !

    Like

    • Quelle chance tu as eue, moi j’ai toujours détesté l’Allemand et c’est très dommage! Je crois que c’est parce que ma mère adorait cette langue. Malcowski n’est pas très allemand 😉 (et ça n’aurait pas dû être Malcowska? J’avais un copain polonais qui s’appelait Perkowski et sa soeur s’appelait Perkowska.)

      Like

  2. A l’Ouest

    Tu dis que tu regrettes de ne pas avoir su plus tôt, mais finalement tu as eu une relation “vraie” et fructueuse avec ce couple de professeurs (qu’on a vraiment envie de rencontrer en te lisant) donc ce n’est pas si grave, non? Qu’est-ce qui aurait changé?

    Like

    • J’ai été une étudiante absolument pourrie, j’ai détesté la plupart de mes cours, et je n’ai pas appris grand chose. En gros, je n’ai jamais compris le but d’un doctorat et j’ai gâché 4 ans avec des gens géniaux à ne pas faire grand chose et à ne pas profiter de la chance que j’avais.

      Like

  3. Anonymous

    Là c’est l’embarras du choix ! J’ai l’impression d’être entourée de gens un peu bizarres. Ma copine belge, qui met un point d’honneur à faire entendre son accent et à ne porter que du noir/jaune(beige)/rouge. Elle est cinglée mais dans le bon sens : insupportable à la longue, mais adorable sur le moment. Incarnation du concept “verbomoteur”, propriétaire d’un café couette de luxe en centre-ville, chocolatière à ses heures, 4 enfants avec 10 ans entre la première paire et la deuxième, survoltée la plupart du temps, sans doute sévèrement maniaco-dépressive aussi… Pendant le grand confinement, elle tournait en bourrique entre ses 4 murs, alors elle utilisait l’excuse de devoir nous faire une livraison de chocolat à l’autre bout du quartier pour faire du vélo jusque chez nous (tu parles d’un voyage essentiel ! 😆 ) Elle m’a aussi donné beaucoup de très jolis vêtements pour enfants du temps que les miens n’étaient pas encore des géants. Elle a ce côté vieille Europe que j’apprécie beaucoup, mais des fois elle joue un peu à l’idiote (je crois que c’est une stratégie, mais je n’en mettrais pas ma main au feu…) et reposé 3-4 fois les mêmes questions, auxquelles il est

    Like

    • Geneviève

      TABARNAK C’EST PARTI TOUT SEUL BORDELÀCHIOTTES !!!
      auxquelles, disais je, il est très difficile de ne pas répondre “je te l’ai déjà dit”. Elle se bat pour la qualité de vie dans son quartier, qui est en train de se dégrader salement avec un afflux de SDF depuis quelques années, et pour plein de raisons je l’aime-haïs en même temps, c’est vraiment étrange…

      Like

  4. N’y a-t-il pas une légère contradiction à présenter en même temps deux personnes comme étant uniques?
    Je crois qu’il faudrait chercher du côté des personnes avec qui j’ai pris des cours de danse (professeurs ou élèves) pour répondre à cette question.

    Like

    • Ah la la, ces gens qui pinaillent 😉 J’ai bien dit “unique, original, ou un peu spécial” dans ma description, et je n’ai jamais dit que ces profs étaient “uniques” nonmého, j’ai dit “M&T étaient vraiment un couple inhabituel” 😉

      Like

  5. Bleck

    # 20 Quelqu’un d’unique, original, ou un peu spécial

    Et que je n’ai pas du tout aimé :
    Une connaissance de blog, voilà une douzaine d’années sur “Bleck Attitude” cette personne commentait de façon drôle et pertinente c’était à sens unique, il n’avait pas de blog… je lui ai proposé un repas à la maison et ce fut une catastrophe, une véritable catastrophe il est arrivé avec deux bouteilles de rouge, alors que nous n’étions que lui et moi.
    Ce type était un professionnel de l’écrit, un géant gros gras très moche, avec une seule idée en tête manger et boire, une obsession ! Un passionné de la grande/grosse bouffe, un goret… une catastrophe, au bout d’un moment j’en ai eu marre qu’il bouffe mal, qu’il bouffe trop, qu’il ne me respecte pas chez moi… je l’ai viré.
    C’était quelqu’un d’unique, original, beaucoup spécial, heureusement.

    Bleck

    Like

  6. Jenny

    #21 quelqu’un d’unique, original, ou un peu spécial : sans conteste, une des cousines de ma mère. Le père de ma mère avait dix frères et soeurs. Un des frères a épousé une Autrichienne de famille juive qui avait été envoyée, enfant, en Angleterre pendant la Guerre pour la protéger (ce qu’on a appelé les Kindertransport). Ils ont eu deux filles mais rapidement, l’épouse s’est rendu compte que son mari était un joueur invétéré. Elle a donc fait ses bagages et est partie avec ses filles en Australie.
    La mère est revenue en Autriche avec des deux filles adolescentes. L’une d’elles a fait les Beaux-Arts à Vienne puis a épousé un de ses profs alors qu’elle était encore mineure pour pouvoir aller étudier en Angleterre (en toute connaissance de cause des deux côtés). Elle a divorcé rapidement.
    Je l’ai rencontrée en 2003, aux 35 ans de mariage de mes parents où elle était venue avec son copain de l’époque, un escroc notoire à Vienne !
    Quelques années plus tard, je suis allée la voir à Vienne et j’ai passé un super moment. C’est là qu’elle m’a raconté sa vie hors-normes. Elle est vraiment cool. Pour ceux/celles qui seraient curieux : https://www.brandeiscrawford.com/f109603969

    Like

  7. On trouve dans les universités des professeurs extraordinaires 😉 Ceux là étaient le dessus du panier on dirait 😉
    j’avais dans ma fac des profs d’espagnol qui étaient des sommités aussi et des profs passionnants 🙂 Je regrette souvent ne pas être resté dans ce milieu plutôt que de me faire ch… dans les collèges et lycées 😦
    Bonne semaine Dr K!

    Like

  8. Pingback: j’ai choisi de rire | c'est pas moi je l'jure!

Merci pour vos commentaires que j'adore :)